Parmi les beaux faits qui signalèrent, durant les guerres de l’empire, les tentatives audacieuses de nos prisonniers pour recouvrer leur liberté, nous choisissons, pour les transmettre à l’histoire, celle du capitaine François Joseph Hénon, de Saint Lunaire (petit bourg sur la côte, à 5 kilomètres de Saint-Malo). Si elles n’ont point été inscrites dans les fastes maritimes, elles n’en sont pas moins restées gravées dans la mémoire des contemporains comme des prodiges d’intrépidité.
Formé de bonne heure à la périlleuse navigation de nos côtes bretonnes, hérissées d’écueils, le jeune Hénon, par sa précoce expérience, avait été élevé au grade de second chef de timonerie ; il servait en cette qualité à bord de la frégate Le Président, en 1806, lorsqu’elle tomba au milieu d’une division anglaise : un combat opiniâtre s’ensuivit ; mais la frégate française se trouva dans la nécessité de céder à des forces si démesurément supérieures ; son équipage fut envoyé à Plymouth, et enfermé dans Mill-Prison, affreuse demeure, proche de la citadelle.
Il y avait trois années que François Hénon gémissait sous les verrous britanniques, et chacun des jours qui s’était écoulés avait rendu plus impérieux chez lui le besoin de recouvrer sa liberté. Il communiqua à quatre braves comme lui le projet qu’il avait formé de fuir, et ce projet, malgré les dangers qui l’environnaient, fut accueilli avec enthousiasme. Il fallait avant tout à ces énergiques l’indépendance qu’ils avaient rêvée sous les souffrances d’une cruelle détention.
Au milieu d’une nuit obscure, grâce à leur agilité, trompant la vigilance des soldats anglais, ils franchissent les obstacles, narguent les coups de fusil, et se trouvent dans les champs, libres de toutes entraves. Apres avoir erré à l’aventure pendant quarante-huit heures, ils rallient, à la faveur de l’obscurité, une des criques de Cat Water et se jettent à la nage pour s’emparer d’un petit canot qui y était ancré, armé de quatre avirons. Malgré les faibles dimensions de l’embarcation, ils ne balancent point à prendre la pleine mer. Armés chacun d’un poignard qu’ils ont fabriqué eux-mêmes, ils sont décidés à aborder le premier navire qu’ils rencontreront « Réussir ou périr ! » disent-ils ; et ramant avec courage, leur esquif sortit avant le jour de la vaste baie de Plymouth.
Au lever du soleil, Hénon et ses camarades étaient à deux lieux au large de Weymoury, explorant l’horizon, lorsque, tout-à-coup, le vent qui était resté modéré de l’ouest, sauta au sud-ouest, et souffla avec une violence extrême. Les braves luttèrent néanmoins contre cette brise immodérée qui soulevait les flots ; mais tous leurs courageux efforts devinrent inutiles devant la tempête qui se déclara, et le bateau enlevé comme une algue, fut jeté sur les rochers de la côte, où il se brisa. Les anglais du lieu accoururent pour porter les secours que réclamaient les naufragés ; mais ayant reconnu en eux des français, ils restèrent sans pitié pour ces pauvres fugitifs. A peine purent-ils marcher, que ceux qui les avaient recueillis allèrent les livrer au commissaire préposé à la surveillance des prisons, qui leur remit le prix de leur capture. Ce chef impitoyable condamna chacun des cinq prisonniers à quarante jours de cachot, à bord du ponton le Généreux, ancré à 2 milles N.O de Mill-Prison, sur la rivière Tamar, qui se jette dans le sound de Plymouth. Là, durant six mois, ils ne reçurent qu’une demi ration ; l’autre portion fut vendue au profil du propriétaire du bateau, qui eut l’inhumanité de la recevoir. Pour qui connait les affreux cachots des pontons et l’exiguïté de la ration du prisonnier, cette mesure atroce équivalait presque à un arrêt de mort. Quoi qu’il en fût, grâce à sa courageuse résignation et à sa robuste santé, Hénon supporta le surcroit de rigueur ajouté à la séquestration.
A quelques temps de là, il tenta une nouvelle évasion ; mais elle échoua, et attira sur lui un nouveau et terrible châtiment. Néanmoins, poussé par l’instinct de la liberté, qui donne au prisonnier ces mouvements impérieux qui le portent à braver la mort pour conquérir son indépendance, Hénon réunit sept autres prisonniers, aussi résolus que lui, et son plan adopté il va essayer une troisième fois de briser ses fers. Déterminés à affronter tous les périls qui se présenteront, ces huit braves se mettent à l’œuvre pour hâter le moment de leur délivrance. Après des travaux inouïs, et exécutés avec une patience qu’eux seuls pouvaient avoir, ils parvinrent à percer l’épaisse muraille du ponton. Les précautions qu’ils prenaient durant leur long et pénible ouvrage pour en cacher les progrès furent si ingénieuses, que les anglais, malgré une surveillance de chaque jour et même de chaque heure, ne purent s’en apercevoir. En même temps, ces travailleurs, qui se défiaient d’une dénonciation, toujours bien rétribuée par les agents du gouvernement britannique, menaçaient des effets de leur ressentiment quiconque d’entre les prisonniers oserait dévoiler aux anglais ce qu’ils avaient entrepris pour se soustraire à leur cruelle captivité, et nul n’osa s’exposer à les encourir : aussi, tant d’audacieux et persévérants efforts devaient-ils cette fois être couronnées de succès.
Le 25 juin 1810, au soir, les huit captifs se disposèrent à quitter le Généreux, un de ces hideux pontons, opprobres de la Grande-Bretagne, et pour cela, chacun d’eux se munit d’un petit sac si bien suifé et si bien fermé, que l’eau n’y pouvait entrer ; ce sac contenait un rechange et un poignard. Hénon avait ajouté à ce bagage une petite boussole qu’il avait faite lui-même et qui devait servir à guider la petite troupe aventureuse au milieu de l’océan. A onze heures, l’obscurité étant devenue profonde sur les eaux de la Tamar, nos intrépides français démasquent le trou qu’ils ont pratiqué dans les flancs du Généreux ; bravant les balles des factionnaires et les terribles châtiments qui les attendaient, ils s’affalent doucement et l’un après l’autre dans le fleuve, afin de gagner à la nage la terre de Carbell-Point sur la rive droite, opposée à King’s Dock : là, ils devaient se rallier au nombre de huit seulement, puisque aucun autre d’entre les 800 prisonniers du ponton n’avait osé les suivre dans leur périlleuse évasion.
Ils trouvèrent bien plusieurs embarcations échouées au milieu des vases, mais toutes étaient démunies des objets essentiels pour les manœuvrer. Leur embarras étaient des plus grands, lorsque qu’Hénon et Dénéchaut, de Nantes, aperçurent près d’eux un chantier de construction, où ils prirent quatre morceaux de bois pour remplacer les avirons qui leur manquaient ; Degarabi, de Pleudihen et Jacques Brûlon, de Saint-Cast, accoururent à leur aide, et, munis de ces rames improvisées, ils de dirigèrent vers les embarcations. Leur choix s’arrêta sur le plus léger bateaux de ceux qu’ils avaient à leur disposition, et, le poussant au large, ils voguèrent tous les huit à la recherche d’un navire à leur convenance.
Enveloppé dans l’ombre qui voilait la surface du fleuve, le canot sans être aperçu, put prendre connaissance de plusieurs reposant à l’ancrage de Hamowze (les français écrivent Hamoaze) ; l’étude qu’en firent les fugitifs leur révéla la nature de ces bâtiments, qui étaient tous des frégates ou des vaisseaux de guerre. En continuant leur investigation à la faveur des ténèbres, qui confondaient ensemble la terre, les navires, le ciel et les eaux, ils distinguèrent à quelques encablures du mouillage des vaisseaux de haut-bord, un cutter de 45 à 50 tonneaux ; c’était en effet l’Union, chargée en plein de poudre de guerre. Par l’apparence extérieure de ce navire, qui joignait à des formes rases et élancées un gréement léger et bien tenu, ils présumèrent que ce pouvait être une des mouches de l’escadre, ou un des bâtiments armés par la douane , et, dans un premier moment, ils hésitèrent à l’accoster. Cependant, à la réflexion qu’il ne pouvait avoir, par ses dimensions, plus de trente hommes d’équipage, ils se sentirent tous les huit de taille à pouvoir l’enlever à l’abordage. Là-dessus, Hénon et les braves qui l’avaient suivi, pleins d’enthousiasme et ne reculant devant aucune difficulté ni aucun danger, décident à l’unanimité qu’ils tenteront de se rendre maitre du cutter, quoiqu’il soit au fond du port, sous les batteries de l’escadre et sous celles de la forteresse formidable qui protège la rade. Disposant aussitôt pour ce coup de main audacieux leurs poignards, ils poussent vers l’anglais, en assignant à chacun d’entre eux le poste qu’il doit occuper dans cette attaque nocturne, et prennent pour leurs mots d’ordre et de ralliement ceux de Liberté et Patrie.
Ainsi disposé, ils accostent l’Union et l’abordent de long en long, déterminés à triompher ou à périr ; mais en franchissant ses plats bords ils reconnaissent, à leur grande surprise, que ce cutter n’était pas armé en guerre. En effet, l’Union était un des transports affectés au service des vaisseaux du roi, et quoiqu’il fût chargé de poudre, il restait confié à la garde d’un homme ; le capitaine et les matelots formant son équipage étaient allés coucher à terre, d’où ils ne devaient revenir qu’avec le jour et apporter les provisions nécessaires pour le temps de leur expédition, qui durait rarement plus de quarante-huit heures.
Il n’était encore qu’une heure du matin, et nos hardis français ne pouvait pas appareiller avant que le coup de canon tiré par le vaisseau amiral eût permis les communications. En attendant ce signal, ils avaient fait descendre l’anglais prisonnier dans la chambre du cutter, où deux des leurs le gardaient à vue, en le menaçant de le tuer s’il proférait une seule parole qui pût compromettre leur sureté. A deux heures trois quarts du matin, aux premières lueurs du firmament, le canon retentit du bord de l’amiral, et les échos d’alentour répercutèrent sa forte détonation. La circulation permise sur la rade et dans le port, nos gens coupèrent le câble de l’Union pour appareiller plus vite, et déployant les voiles sous un joli frais de nord qui favorisait la route qu’ils avaient à suivre, ils s’éloignèrent de l’ancrage que le cutter avait occupé.
Mais quel audacieux sang-froid, quelle admirable présence d’esprit et quelle intelligence présidaient à la fois l’exécution de cette entreprise ! Maintenant il leur fallait sortir du fond du port de Plymouth, dont ils n’avait pu étudier qu’imparfaitement, sous les verrous, la partie appelée le Sound, avec ses canaux et les écueils qui les avoisinent ; il leur fallait passer et repasser le long des vaisseaux de guerre répandus sur l’espace qu’il parcouraient, évoluer durant plusieurs heures parmi les navires qui avaient mis sous voiles pour prendre le large, prolonger les uns, lofer ou arriver pour les autres, sans aucune hésitation, sans qu’aucune fausse manœuvre vint dévoiler ce qu’ils étaient : eh bien ! Ils firent tout cela ! Cependant leurs cœurs se serrèrent lorsqu’ils passèrent devant Mill Prison, cette fétide demeure où leurs compatriotes entassés gémissaient sous les verrous de l’inhumaine et implacable Angleterre, refusant tout échange de prisonniers, tandis qu’eux touchaient l’instant de leur délivrance. Ayant fait le chenal entre l’île Saint-Nicolas (nommé aussi l’île Drake) et la citadelle, ils laissèrent arriver au sud afin de courir entre les hauts fonds de la Panther et du Kemp à l’ouest, et ceux de Showel et du Tinker à l’est, dangers qu’indiquaient de grosses bouées. par cette direction hardie que prenait Hénon, qui depuis l’appareillage, n’avait pas quitté la barre, le cutter évitait les divisions anglaises mouillées dans l’anse Causon, c’était en outre le chemin le plus court pour s’éloigner du port, où, d’un instant à l’autre, la disparition de l’Union allait être signalée à tous les bâtiments légers de la flotte qui s’acharneraient à sa poursuite. La Providence veillait sur eux, et à six heures, ils purent relever, à leur grande satisfaction, Rame Head au O.-S.-O., et Newstone, à E.-S.-E. ; les montagnes de Moor dominaient alors les falaises grises de Salcombe, ce qui les mettait au large de tout danger de la baie et les rendait indépendants dans leur manœuvres. Hénon donna le S.-S.-O pour l’aire de vent à suivre, car il avait pris définitivement le commandement de l’Union et grâce à la petite boussole, que, par une habile prévoyance, il avait confectionnée et mise dans son sac, il put guider le navire au milieu des flots ; le cutter ; ne faisant que la navigation des havres de la Tamar à ceux de la grande rade de Plymouth, était démuni de compas, de lampe et de provision de toute espèce.
Le vent, qui s’était maintenu au nord, avait augmenté de force, et l’Union, sous toutes voiles, traversait rapidement l’espace entre Plymouth et la côte bretonne ; à la vérité Hénon acvait l’œil à tout et ne négligeait aucun changement atmosphérique pour obtenir de l’embarcation britannique la plus grande vitesse possible ; mourant de faim, ils avaient tous hâte d(atteindre un port ami, où ils devaient se procurer les aliments dont l’absence se faisait vivement sentir à leur estomacs affamés L’activité déployée par Hémon eut les plus heureux résultats, puisque le lendemain, à l’aube matinale, l’Union était si près des rochers qui bordent l’île de Batz, qu’aucun ennemi ne pouvait intercepter son atterrage ; cette circonstance fut d’autant plus heureuse qu’elle ne se trouvait plus qu’à une lieue seulement d’un des nombreux bâtiments légers dépêchés à ses trousses. Dagarrabi et Brulon le reconnurent pour un ancien corsaire de Saint-Malo tombé au pouvoir des anglais et qui avait été armé par eux, vu sa grande marche.
Ce croiseur ennemi eut un moment l’espoir de s’emparer du cutter ou au moins de le contraindre à se jeter à la côte, en lui coupant l’entrée du havre, dans lequel celui-ci cherchait à donner à pleine voile. La chasse que l’anglais appuya n’eut aucun résultat ; il vira de bord pour regagner le port de Plymouth, d’où il était sorti la veille, et alla raconter l’insuccès de sa course.
Hénon, au gouvernail, faisait route pour entrer par la passe de l’ouest. Mais là, de nouveaux dangers attendaient les huit valeureux français, et ils faillirent périr au terme de leur entreprise. Obligés d’Arborer un pavillon, ils ne pouvaient hisser en tête du mât que le seul pavillon qu’ils eussent à bord. Ce pavillon à fond rouge, avec trois canons blancs superposés, les uns aux autres, était le signal distinctif pour le cutter chargé du transport des poudres dans un port anglais, et il mit en émoi les canonniers des batteries de la côte. Ne le trouvant pas inscrit à leur série, ces militaires firent feu sur l’Union, qui sillonnait alors les flots que soulevait le vent fraichissant à mesure que le soleil montait au-dessus de l’horizon. Malgré la pluie de fer qui vint les assaillir à l’entrée d’un port ami et mettre leur courage à une nouvelle épreuve, malgré les projectiles battant la mer si près du cutter que l’eau qui rejaillissait sur sous leur choc couvrait son pont, les braves s’en émurent que faiblement, et Hénon, avec le même sang-froid qui avait présidé à l’entreprise, gouvernait l’Union au fond du port. Cependant cette résolution de la part de ceux qui montaient le cutter imposa aux artilleurs ; elle les porta à réfléchir qu’une si faible embarcation ; dont ils n’avaient rien à redouter pour eux-mêmes, ne pouvait pas venir affronter aussi impunément leurs boulets sans autre motif que celui d’une agression qui ne lui offrait que des chances de destruction ; ils cessèrent de tirer, et un pilote breton se hasarda à aborder l’Union.
Ce pratique, après avoir fait faire une station au cutter dans un lieu abrité durant la basse mer, le fit entrer avec le retour du flot dans le petit port de Roscoff, sur la côte armoricaine, vis-à-vis l’extrémité de l’île de Bas ; là , avant de céder leur conquête à l’autorité qui vint s’en saisir, nos français eurent à subir un long interrogatoire du commissaire de marine du lieu. Ce fonctionnaire, qui ne pouvait s’empêcher d’admirer l’audacieuse entreprise et l’incroyable présence d’esprit qui l’avait conduite là, oubliait sous le charme que lui causait le récit des fugitifs, que ces hommes mourraient de faim ; cependant, lorsqu’il eut terminé les formalités prescrites par la loi, cet administrateur envoya Hénon et ses compagnons dans une auberge où on leur servit à manger, et ils en avait le plus grand besoin ; il y avait quarante-six heures qu’ils n’avaient rien pris.
En Angleterre, l’enlèvement de l4Union fit beaucoup de bruit, et il le méritait par sa hardiesse. Là, en effet, on s’expliquait difficilement comment une poignée de français avait pu se rendre maitres d’un bâtiment de l’Etat, chargé de poudre, et d’une grande valeur, devant King’s Dock, l’une des annexe royales du port et de la rade de Plymouth, qui l’abritent, et cela, à portée de voix de plusieurs vaisseaux du roi, sous la sauvegarde desquels il était placé. On, ne concevait pas non plus que le cutter eût pu mettre sous voiles et gagner le large, sans que les nombreux bâtiments de guerre et de commerce qui sortaient en même temps de la Tamar, ainsi que de Cat Water, et au milieu desquels il avait été forcé d’évoluer, soit au passage difficile du Crimble, soit dans les eaux du Sound de Plymouth, fussent restés sans s’apercevoir qu’il n’était plus manœuvré par des anglais pratiques de la localité. La gazette de ce port militaire rapporta à ce sujet que les dames anglaises furent si vivement émues de cet acte étonnant d’audace, que lorsqu’elles apprirent que plusieurs navires de l’escadre s’étaient mis à la poursuite des braves français qui l’avaient osé, elles firent hautement des vœux pour l’insuccès de leur course.
En France au contraire, loin d’avoir le retentissement qui lui était dû, cette action héroïque fut étouffée ; nos journaux, qui consacraient leurs colonnes à retracer les marches de nos armées poursuivant le cours de leurs triomphes à travers le continent européen, dédaignèrent de reproduire les détails que les feuilles quotidiennes de la Grande-Bretagne donnaient sur le fait incroyable de l’enlèvement de l’Union. Aussi, il résultat de ce silence que cet exploit qui honorait notre marine resta oublié du pays, et que les intrépides matelots qui l’avait accompli, après avoir livré à la patrie leur dépouilles opimes, furent par ordre du ministre, renvoyés dans leur famille, non seulement sans aucune des récompenses dues au courage, mais encore sans qu’aucun mot bienveillant n’arrivât jusqu’à eux.
Le jeune Hénon, qui après en avoir été l’âme, avait dirigé l’opération, demanda l’unique faveur de passer un examen particulier de capitaine au long-cours. Le duc Decrès, loin d’avoir égard à sa pétition, ne lui répondit même pas. Il crut sans doute s’acquitter envers ce brave en lui envoyant un bon de répartition de 3500 fr. , tandis que celui-ci avait si puissamment contribué à doter la caisse de son département de plus de 120 000 fr. Voilà de quelle manière ce ministre oublieux, chargé par la nation de déverser sur les marins les récompenses qu’ils méritaient, accomplit envers huit d’entre eux le mandat qu’il avait accepté du pays.
En donnant de la publicité à cet exploit presque ignoré, et qui fut accompli par quelques-uns de nos marins, nous avons cru remplir un devoir de conscience, et nous serons heureux si nous avons réussi à le venger de l’oubli où l’avait laissé la partialité de l’histoire.
Depuis l’époque où l’Union entrât dans le port de Roscoff, le brave et modeste François Hénon, l’un des capitaines les plus distingués du port de Saint-Malo attend toujours la récompense que sa belle action lui a méritée.
CH. C.
Dans la Diligence Journal des Voyageurs de janvier 1849
Commentaires :
J’ignore qui se cache derrière les initiales de l’auteur CH. C. . Cette description de l’évasion est remarquablement précise et certainement écrite par un marin qui connaît les lieux de la rade de Plymouth. Cette évasion de huit prisonniers français a également été décrite par Napoléon Gallois le tome 2 « Les corsaires français sous la République et l'Empire » d’après le témoignage de M. Cunat on y apprend les noms de 3 compagnons de François Hénon, Dénéchant de Nantes, Dégarabi de Pleudihen et Jacques Brûhon de Saint Cast et que le capitaine Hénon devient par la suite un capitaine au long-cours renommé de de Saint-Malo et qu’il était toujours en vie en 1845.
Le cotre HMS Union a été construit en 1806, il est pratiquement neuf lorsque les prisonniers français l’enlève en 1810.
Le ponton le Généreux est vaisseau français de 74 canons, construit en 1785 à Rochefort, à la bataille des convois de Malte en 1800 il est capturé par les anglais qui le convoient de méditerranée en Grande Bretagne qui le transforment en prison flottante au mouillage dans la Tamar à Plymouth.
En regardant un calendrier lunaire de juin 1810, nous pouvons voir que le 25 et 26 juin nous sommes en morte-eau et prévoir approximativement les horaires de marée. Au matin du 26 l’Union arrive dans le chenal de l’île de Batz dans le chenal de l’île à basse-mer, le pilote lamaneur de l’île qui grimpe à bord le fait certainement mouiller au sud de l’anse de Pors Kernoc pour attendre la pleine mer vers midi afin d’entrer au port de Roscoff vers midi. Le cotre s’est fait certainement canonner par la batterie du chenal de l’île de Batz.
L’auteur utilise l’orthographe ancienne pour l’île de Batz et écrit « île de Bas », cette orthographe perdurera dans une utilisation nautique sur les documents et cartes marine jusqu’au début du XXème siècle.
L’Hermione était une frégate de 12 construite en 1779 à Rochefort, Elle armait 26 canons au calibre des boulets de 12 livres et 6 canons de 6 livres sur les gaillards La construction de l’actuelle Hermione sa réplique a été une belle aventure de 17 années, elle navigue et nous permet de découvrir comment étaient les frégates de la marine royale française à la fin du XVIIIème.
L’Hermione était loin d’être la seule frégate de 12. Jean Boudriot dans la monographie de la Belle-Poule frégate de 12 de 1765 dénombre 104 frégates de ce type construites pour la marine royal entre 1748 et 1798. Ces frégates sont construites non seulement dans les 3 arsenaux de Rochefort Brest et Toulon mais également en sous-traitance dans des chantiers civils de ports secondaires.
Saint-Malo, ou les chantiers construisent des navires marchands, des navires destinés à la pêche à la morue sur les bancs de terre-neuve et des navires corsaires, construit 16 frégates de 12 pour la marine Royale.
L’engagement de la Marine française contre l’Angleterre dans guerre d’Amérique de 1777 à 1783, demande de nombreux bâtiments. La guerre navale devient importante, Sartine ministre de Marine de Louis XVI ordonne la construction de nombreux vaisseaux et frégates avec des délais de livraison très courts, les arsenaux construisent en priorité les vaisseaux. Les Frégates, elles sont en partie construites dans les arsenaux et En six ans de 1777 à 1783 il est construit 45 frégates de 12.
Saint-Malo et Saint-Servan et leurs nombreux chantiers est l’ensemble portuaire civil qui a la plus grande capacité de construction pour la Marine et se voit affecté à la construction de 8 frégates de 12. L’ingénieur constructeur Chevillard le frère cadet du constructeur de l’Hermione est envoyé à Saint-Malo pour coordonner les travaux des différents chantiers civils il est assisté du commissaire de la Marine Gillot qui se réjouit de surcroît d’activité « ce travail extraordinaire sera très avantageux aux ouvriers et artisans (…) qui sans ces deux constructions décidées et les deux autres projetées (…), se seraient retrouvés désœuvrés et dans l’occasion de passer le reste de l’année dans la misère ».
Mais rapidement Guillot et Chevillard se retrouve face à des difficultés d’approvisionnement en bois et fer. et se plaignent également du manque de mains d’œuvre des charpentiers étant levés pour l’arsenal de Brest.
La grève de Solidor à St Servan, sur 7 cales séparées voit la construction quasiment en même temps de 7 frégates de douze sur les plans de l’ingénieur Guignace d’après ceux de la Belle-Poule construite auparavant et considéré comme une très bonne frégate pour ses qualités nautiques. Elles sont donc lancées toutes les septs entre le 16 mars et le 22 aout 1778.
Chevillard fait face aux difficultés et met en place une véritable production industrielle en série malgré la concurrence que ce font les constructeurs dans l’approvisionnement de bois et dans le recrutement des charpentiers et des calfats. Il réussit cette mission particulièrement difficile et fait les plans de d’une huitième frégates construite au même endroit la Minerve (rebaptisé la Diane)
Les huit frégates construites pendant la guerre d’Amérique à Saint Malo sont :
La Résolue (aout 1777- 16 mars 1778) et la Gentille (aout 1777- 10 juin 1778) construites par Pierre Beaugeard et Isaïe Ledet de Segray.
L’Amazone (Aout 1777- 11 mai 1778), et la Médée (Aout 177- 20 septembre 1778) par Guillaume Despechers et Joseph Dupuy-Fromy
La Prudente (Aout 1777- 29 mars 1778), la Gloire (Aout 1777-9 juillet 1778) et la Minerve (mars 1778, début 1779) construite par Louis Marion-Briantais
La Bellone (fin octobre 1777- 22 aout 1778) par Pierre Mesclé de Granclos
Pendant la révolution la demande de navires pour la marine et l’expérience réussie des constructions malouines entraine la création de l’arsenal de saint Servan à partir de 1793 qui sera en activité jusqu’en 1837 et construira de grandes frégates mais ceci est une autre histoire.
Bibliographie :
De bois et de Fer La construction navale malouine (en particulier de chapitre de Patrice Decencière) Le Chasse Marée
Monographie de la Belle Poule 1765 Jean Boudriot éditions Ancre
La frégate Marine de France 1650 1850 Editions Ancre
Monographie de l’Hermione J.C. Lemineur éditions Ancre
La veille du départ de la frégate Hermione pour les Etats-Unis d’Amérique, je vais vous parler d’une autre frégate de 12, dont le nom fut nettement plus célèbre que L’Hermione : La Belle-Poule
Contexte historique
Dans les colonies anglaises d’Amériques , les insurgents mènent la guerre d’indépendance contre les Anglais. La déclaration d’indépendance est signée du 04 juillet 1776. Mais la guerre est loin d’être fini
La France, s’est engagé auprès des insurgents, Beaumarchais leur livre des armes, En 1777 Le jeune marquis de Lafayette fais un premier voyage en secret vers les nouveaux état unis et noue un contact fraternel avec le général Georges Whashington
Vergennes, secrétaire d’état aux affaires étrangères et Louis XVI décident donc, le 6 février 1778, de signer avec Benjamin Franklin un traité d'amitié et d'alliance officielle avec les Provinces-Unies d'Amérique.
La France rêve d’une revanche sur l’Angleterre depuis la signature du traité de Paris de 1763.
La Marine a été réformée, de nombreux vaisseaux et frégates ont été construites, les arsenaux sont en pleine activité.
Le ministre de la Marine De Sartine, donne des ordres clair de répondre aux anglais massivement aux moindre affront et fait préparer à Brest l’escadre de la Manche sous les ordres lieutenant général d'Orvilliers, commandant l'armée navale de l'Atlantique
En Angleterre, il y a eu un débat à la chambre des lords sur la déclaration de guerre à la France. Une importante escadre anglaise navigue à l’entrée de la Manch, sous le commandement de l'amiral Keppel,
Louis XVI, toujours retenu par ses scrupules, laisse l’initiative du premier coup de canon aux Anglais. toutes les conditions pour le déclenchement de la guerre sont réunies
Le Combat du 17 juin 1778
Le 15 juin 1778 , appareille de Brest une petite flottille de reconnaissance composée de La Belle-Poule frégate de 12 avec 26 canons de 12,et 6 canons de 6 , la Licorne frégate de 26 canons de 8,6 et 4 livres L’Hirondelle corvette de 16 canons de 6 livres de BB et le lougre le Coureur armé seulement de 8 canons.
Au matin du 17 juin, la frégate la belle Poule aperçoit, une flotte importante.
La flottille française est bientôt rejointe par la frégate anglaise Arethuse qui lui intime l’ordre de rejoindre le vaisseau amiral anglais, le commandant M. de La Clocheterie refuse d’obéir à cet ordre et continu sa route. La frégate anglaise tire alors une pleine bordée à peu de distance. Les français parée au combat réplique rapidement, s’en suit alors un combat particulièrement violent qui fit de nombreuses victimes à bord des deux navires et leur provoqua de grave avaries de gréement.
Rapport de M. de La Clocheterie à d'Orvilliers
Mon général,
Les vents de nord qui m'ont fait partir de Brest le 15 de ce mois ont reigné jusqu'à mardy à minuit, très foibles ; Ils ont passé alors à O.S.O. et j'ai mis le cap au N.N.E., ce qui me
portoit entre le cap Lézard et Plimouth. Mercredy (le 17) à 10 h. du matin, j'ai eu connoissance du haut des mâts de quelques batimens exactement de l'avant à moy. Je les ai signalés sur-le-champ
à la Licorne et à l'Hirondelle que j'avois laissé assez loin derrière moy.
A 10 h. ½, j'ai commencé à soupçonner que ce pouvoit être une escadre et j'ai fait signal aux batimens qui me suivoient de tenir le vent, les amures à babord, et je les ay pris moy-même. J'ai
compté, peu d'instans après, vingt batimens de guerre, dont quatorze au moins de ligne. J'ai fait signal de virer de bord. J'étois établis au même bord que les Anglois à 11 h. du matin ; ils
étoient alors à environ quatre lieues dans le N.E. ¼ N., les vents à O.S.O..
A 1 h. ½ après midy, j'ai doubl la Licorne au vent et j'ai dit à Mr de Belizal que je le laissois le maître de la manoeuvre qu'il jugeroit la plus convenable pour échapper à la poursuite des
Anglois, et j'ai fait signal à l'Hirondelle de relâcher ou elle pourroit. Je voyois alors une frégatte et un sloup me joignoient ; j'ai gardé le lougre avec moy. A 6 h., j'ai été joint par
le sloup qui porte 10 canons de six. Il m'a hélé en Anglois, je lui ai dit de parler françois. Il a reviré et a été joindre la frégatte.
A 6 h. ½, cette frégatte est arrivée à portée de mousquet dans ma hanche sous le vent. Le vaisseau de l'escadre le plus près de moy en étoit alors éloigné d'environ 4 lieues. Cette frégatte a
cargué sa grand voille ; j'en ai fait autant et j'ai même amené mes peroquets et mis celui de fougue sur le mât afin de ne pas rester dans une position tout-à-fait désavantageuse. La
frégatte angloise a manoeuvré comme moy ; alors, j'ai arrivé brusquement elle en a fait autant et nous nous sommes trouvés par le travaers l'un de l'autre, à portée de pistolet. Elle m'a
parlé en anglois, j'ai répondu que je n'entendois pas. Alors elle a dit en françois qu'il falloit aller trouver son amiral. Je lui ai répondu que la mission dont j'étois chargé ne me permettoit
pas de faire cette routte. Elle m'a répetté qu'il falloit aller trouver l'amiral ; je lui ai dit que je n'en ferois rien. Elle m'a envoyé alors toute sa volée et le combat s'est engagé. Il a
duré depuis 6 h. ½ du soir jusqu'à 11 h. ½, toujours à la même portée, par un petit vent qui permettoit à peine de gouverner. Nous courions l'un et l'autre grand largue sur la terre. J'ai lieu de
présumer qu'elle étoit réduite alors puisqu'après être arrivé vent arrière, je lui ai donné plus de 50 coups de canon dans sa poupe sans qu'elle ait riposté un seul.
Cette frégatte est de la force de la Fortunée et porte comme elle 28 canons de 12 en batterie. Il m'a été impossible de poursuivre mon avantage parce que la routte qu'il falloit faire pour cela
me menoit au milieu des ennemis. J'ai donc pris le parti de courir à terre sans savoir à quel point je pouvois atteindre. J'ai mouillé très près de terre à minuit et demi. Au jour, je me suis
trouvé entourré de roches, à un endroit qu'on appelle Camlouis, près de Plouescat ; j'ignore encore si je pourrai m'en tirer. Le combat, mon général, a été sanglant : j'ai 57
blessés ; je ne sais pas encore au juste le nombre de morts, mais on croit qu'il passe quarante. Mr. Gain de St-Marsault est du nombre des derniers, Mr. Delaroche-Kerandron, enseigne, a un
bras cassé et Mr Bouvet est blessé moins grièvement. Je ne saurais trop louer, mon général, la valeur intrépide et le sens-froid de mes officiers : Mr. le chevalier de cappellis a sçu
inspirer toute son audace aux équipages dans la batterie qu'il commandoit ; Mr. de La Roche, blessé après une heure et demie de combat, est venu me faire voir son bras, a été se faire panser
et est revenu reprendre son poste. En général, le combat s'est très bien soutenu jusqu'à la fin. Mrs Mamard et Sbirre, officiers auxiliaires, se sont comporté avec toute la bravoure et le
sens-froid qu'on a droit d'attendre des militaires les plus aguerris. Mr. Bouvet, blessé assez grièvement, n'a jamais voulu descendre. Mon équipage est digne de partager la gloire que ce sont
acquis mes officiers.
Mr. Grain de St-Marsault a été tué après une heure et demie de combat ; le Roy a perdu l'un de ses meilleurs officiers et je regrette un ami bien cher.
Je crois le Licorne prise ainsi que le lougre, mais je me flatte que l'Hirondelle a échappé aux ennemis.
Deux vaisseaux de guerre anglois sont à deux lieues de moy. Ils paraissent vouloir entreprendre de venir me chercher ; je doutte qu'ils y réussissent parce que je suis fort entouré de roches, mais je n'ai qu'une très foible espérance de sauver la frégatte. Le lieu où je suis n'étant éloigné que de trois lieues du Folgouët, je prends le parti d'y envoyer mes blessés. mon chirurgien-major vous portera cette lettre, mon général ; je l'expédie parce que personne n'est plus propre que lui à leur faire donner tous les secours dont ils ont besoin, et que c'est un exprès sûr.
Deux contusions, l'une à la tête et l'autre à la cuisse, me font souffrir actuellement de manière que je n'ai guerre la force d'écrire plus longtems…
Je suis tout dégrayé, mes mâts ne tiennent à rien, le corps de la frégatte, les voilles, tout en un mot est criblé de coups de canon, et je fais de l'eau.
Je suis avec respect, mon général, votre humble et très obéissant serviteur.
Chadeau de La Clocheterie
A bord de la Belle Poule, le 18 juin 1778.
Le combat rapproché au canons et aux tir de mousqueterie a été particulièrement intense. A bord de l’Arethuse on déplore 8 morts et 36 blessés les pertes sont nettement plus importante à bord de la Belle-Poule plus d’une trentaine de morts et 57 blessés.
Le lougre Le coureur après un combat de 2 heures contre le cotre HMS Alert amène son pavillon, La licorne cernée par quatre vaisseaux est arraisonnée par la frégate HMS Milford, la Corvette l’Hirondelle échappant au combat parvient à trouver refuge dans le chenal de l’île de Batz .
Les blésés et les corps des décédés sont mis à terre dans l’anse de Camps Louis à Plouescat
Un équipage complémentaire est envoyé de Brest pour ramener rapidement, avec les survivants la frégate, elle fait une entre glorieuse à Brest quelques jours plus tard
Courrier de Sébastien le Braz chirurgien
18 juin 1778
Il y a moins d'une semaine, je visitais la mine de Poullaouen où j'avais eu le bonheur de rencontrer Monsieur de Lavoisier. J'y avais accompagné le chevalier de Bouflers, colonel du régiment de Chartres, qui assurait la protection du duc, cousin du roi, en visite en ces lieux. Le chevalier attendait la guerre avec impatience alors que je l'espérais lointaine. Nous ne savions pas encore que les dés avaient déjà été jetés. Aujourd'hui je chevauche auprès d'un convoi de charrettes où, sur des lits de paille, gémissent, hurlent de douleur, ou déjà agonisent, les marins et soldats de la Belle-Poule qui a subi les premiers coups de l'ennemi.
Ce jeudi 18 juin, peu de temps après que la cloche de l'église de Saint Houardon ait sonné les douze coups de minuit, un sergent du régiment de Chartres est venu frapper à la porte de notre domicile sur le quai du Léon. Il me fallait, me dit-il, me rendre d'urgence auprès du chevalier de Bouflers en emportant avec moi quelques vêtements en état d'affronter les intempéries ainsi que mes instruments de chirurgie.
Rapidement rejoint je trouvais le chevalier dans un inhabituel état d'excitation. Nous avons la guerre me dit-il,
- Un messager vient de me faire savoir que je dois me rendre d'urgence avec un fort détachement de troupes sur le rivage de Plouescat où nos navires ont engagé le combat avec la flotte anglaise. Nos équipages ont subi de lourdes pertes. Nous devrons leur porter secours et convoyer les blessés jusqu'à l'hôpital de la marine installé au Folgoat, près de Lesneven.
Finis les doutes. La seule chose qui comptait à présent était de soulager les souffrances et d'arracher à la mort le plus d’hommes possibles, fussent-ils nos ennemis si le hasard des combats en avait fait nos prisonniers. J'essayais surtout de d'être attentif à la route empruntée afin de ne pas laisser aller mon imagination.
Fort heureusement le Chevalier ne me laissait pas le temps de penser. Il m'expliquait ce qu'il croyait savoir de l’événement tel que l'un de ses lieutenants, en poste à Brest, le lui avait rapporté.
N'étant pas marin il savait seulement qu'une frégate du nom de La Belle Poule et portant 30 canons avait été attaquée par un navire de la flotte anglaise au large de Plouescat. Il semblait qu'elle était particulièrement visée car en avril de l'année précédente elle avait déjà été prise en chasse par un navire anglais qui la soupçonnait d'être un corsaire américain, ceux-ci s'abritant parfois sous le pavillon français. A nouveau, en janvier de cette année, elle avait été interceptée par deux navires anglais de 74 canons exigeant de la visiter. On répétait à Brest la réponse de son capitaine, Charles de Bernard de Marigny : «Je suis la Belle-Poule, frégate du Roi de France. Je viens de la mer et je vais à la mer. Les bâtiments du Roi, mon maître, ne se laissent jamais visiter.»
Le panache de la réponse avait-il été suffisant ? Les Anglais le laissaient poursuivre sa route sans savoir qu'il avait à son bord un représentant important des insurgents qui devait s'embarquer à Brest pour un retour aux Amériques. La rumeur s'était même répandue que ce personnage était Franklin en personne. Les espions anglais n'étant pas inactifs à Brest, la nouvelle de cet échec avait dû filtrer jusqu'à Londres et tout laisse à penser que les officiers de la flotte anglaise, responsables, avaient dû subir de sévères remontrances et que leur désir de revanche était à la mesure de l'affront subit.
Et voilà que, le 15 juin la Belle-Poule revient faire flotter le pavillon français dans la Manche. Le comte d'Orvilliers, commandant de l'armée navale, avait chargé le capitaine Chadeau de La Clocheterie de l'y mener pour une mission de surveillance. Elle y était accompagnée par trois autres navires de moindre puissance.
Hier, 17 juin, elle avait été attaquée et avait dû livrer bataille contre une frégate anglaise envoyée par l'amiral Keppel dont la flotte croisait au large. La rumeur faisait déjà état de la glorieuse victoire du navire français.
Quand nous avons retrouvé la frégate, elle était en réalité en pitoyable état et en très mauvaise position. De prétendus pilotes locaux, qui disaient connaître la côte, l'avaient menée dans un endroit parsemé de roches où elle avait talonné. A portée étaient mouillés quatre bâtiments anglais dont on pouvait craindre qu'ils n'envoient des chaloupes pour l'attaquer ou l'incendier. Le chevalier de Bouflers, dont le bataillon avait reçu le soutien d'une centaine de soldats d'un autre régiment, fit immédiatement rechercher des chaloupes dans tout le pays environnant afin d'amener des troupes à bord de la frégate et s'opposer à un éventuel débarquement anglais. La nuit étant venue il fit allumer de nombreux feux tout le long de la côte pour simuler les bivouacs d'une troupe importante.
Au matin, les vaisseaux anglais avaient levé le siège et le Chevalier semblait déçu de voir à nouveau la guerre s'éloigner sans avoir pu échanger quelques salves. Pourtant le spectacle de la guerre était bien devant nous.
Nous avions rejoint M. de la Clocheterie à son bord. Il était très affecté par les pertes subies. Il avait à déplorer la mort d'une trentaine de ses hommes et en particulier celle de son capitaine en second, M. Le Grain de Saint-Marceau. Une centaine d'autres étaient sévèrement blessés. Bien que blessé lui-même, il ne pensait qu'a mobiliser tout ce qui restait de son équipage pour remettre son navire en mesure de naviguer et de combattre. Il ne lui restait plus que la moitié de ses matelots mais ceux-ci ne prenaient aucun repos, négligeant même de manger. Ils se savaient victorieux. La frégate Arethusa qui les avait attaqués avait dû rompre le combat après la perte d'un mât. Cela décuplait leurs forces.
Je ne pouvais détacher mes yeux des blessés couchés sur la paille des charrettes qui allaient les amener jusqu'à l'hôpital du Folgoat. L'un avait un bras arraché, l'autre une jambe. Un autre avait eu les deux jambes emportées au niveau des cuisses. Sans les premiers soins qui leur avaient été donnés par le chirurgien du bord, ils se seraient déjà vidés de leur sang. Plusieurs avaient des membres hachés par la mitraille et les éclats de bois arrachés aux gréements par les boulets ennemis. Je savais déjà que sans une amputation rapide la gangrène les emporterait dans d'atroces souffrances.
Devant leurs officiers chacun faisait assaut de courage, refusant de se plaindre et ne pensant qu'à partager la gloire de la victoire. Je savais que le temps passant leurs corps, pour le moment encore anesthésiés, sentiraient monter des douleurs que même le laudanum que je pourrais leur faire absorber ne calmeraient pas. Je savais aussi que, pour ceux qui survivraient, le plus dur serait d'affronter la nouvelle vie qu'ils n'imaginent pas encore.
Le chevalier étant resté sur place dans le but d'accompagner par la côte le retour de la Belle-Poule jusqu'à Brest, je partais seul avec le convoi de blessés vers l'hôpital du Folgoat.
20 juin.
L'hôpital est un ancien couvent d'Ursulines, vaste mais sans l'architecture qui conviendrait à un tel édifice. Destiné à y soigner les blessés de la marine, on se demande pourquoi il est si loin de Brest et pourquoi le port ne dispose pas d'un hôpital assez vaste pour y recevoir tous les malades et blessés de la flotte. Combien de matelots ne sont-ils pas morts sur les charrettes qui les amenaient au Folgoat ?
L'hôpital comprend treize salles, vastes et bien aérées, et environ cinq cents lits. Si l'eau y était plus abondante, ce serait un très bon établissement. Elle fait pourtant défaut en un moment où il faudrait pouvoir laver à grandes eaux les tables et les sols imprégnés d'un sang poisseux.
Depuis hier un étrange phénomène s'est produit. Pour sauver les hommes que l'on m'apporte je fais abstraction de la pitié qu'ils m'inspirent. Seuls les gestes techniques comptent. La science qui m'a été enseignée est devenue un rempart contre l'émotion.
Les conséquences de ce combat
Bien sur l’Arethuse étant en partie démâté, et faisant demi-tour pour rejoindre la flotte Anglaise , ce combat est considéré par les français comme une victoire. Les Anglais considérant que le nombre de victimes françaises fut important et que la frégate la française est parti se réfugier entre les rochers de la côtes les anglais affirment que c’est une victoire anglaise. un chant, qui est devenu un classique est même composé à l’occasion de cette « victoire » « The Saucy Arethusa ».
Ce combat, dont les premiers coup de canons furent tirés par les anglais fut particulièrement mis en avant dans le royaume de France . Le roi louis XVI signifie à ces ministres, que part cet affront l’Angleterre déclare la guerre à la France et que la France doit répondre par tous ses moyens. Les hostilité entre les deux nations sont déclaré.
Les officiers ayant participé à ce combat sont promus, et l’équipage reçoit une gratification exceptionnelle. On parle de ce combat dans tout le royaume. Il a même une influence sur la mode, les belles se coiffe à la « Belle-Poule » arborant une frégate, avec mature voilure et rubans dans leur coiffure.
La poursuite du renforcement de notre marine par des constructions neuves est aussi une conséquence indirecte de ce combat et de l’entre dans cette phase de guerre maritime. Nous pouvons dire que la construction de l’Hermione et son lancement en mai 1779 sont consécutifs à ce premier engagement.
La frégate la Belle-Poule
La frégate de 12 la belle-Poule a une carrière particulièrement longue et glorieuse sous pavillon français puis sous pavillon anglais.
Construite à Bordeaux de 1765 à 1767 sur plans de l’ingénieur constructeur Guignace .
En 1768, elle fait deux croisières aux Antilles.
En 1772, la Belle Poule est désigné pour une campagne hydrographique dans l'océan Indien sous le commandement du chevalier de Grenier
Adoptant une nouvelle technique anglaise de protection des carènes, C’est une premier navire français a être doublé en feuilles de cuivre en 1772 en vue de sa campagne dans l’océan Indien.
Avant la déclaration de guerre avec l’Angleterre, en janvier 1778, elle est intercepté par deux vaisseaux de 74 canons anglais vérifiant que ce n’est pas un corsaire américain
Sa renommée viendra du combat du 17 juin 1778 raconté précédemment. Le 15 juillet 1780 elle est capturée par les anglais, au large de l’île d’Yeux suite à un combat avec le vaisseau de 64 canons HMS Nonsuch. Elle est intégrée à la marine royale britannique en gardant son nom. son fait d’arme principal fut la capture du corsaire américain Callonne, Un bâtiment de très bonne marche. Elle est désarmée définitivement en 1798 et démolie en 1808.
On peut noter que 104 frégates de 12 furent construites en France entre 1748 et 1798
La frégate Arethusa ou Aréthuse
Lancée Au Havre en 1757, initialement prévue pour être une frégate corsaire elle est intégrée dans la marine royale comme frégate de 8. elle est capturée par les anglais le 18 mai 1758 en baie d’Audierne.
Moins d’un ans après son combat contre la Belle-Poule, elle affronte la frégate Française Aigrette et fait naufrage sur les rochers de Molène le 18 mars 1779.
Bibliographie et liens
Monographie de la Belle-Poule Jean Boudriot éditions Ancre
La frégate 1650 1850 Jean Boudriot Hubert Berti éditions Ancre
Monographie du lougre le Coureur Jean Boudriot éditions Ancre
Site du modéliste Bernard Frölich