Au retour du Groenland
Le trois-mâts goélette « Deux Frères » sombre au large d’Ouessant
Sur 30 hommes d’équipage, 27 sont recueillis et ramenés à Brest
On est sans nouvelle d’un doris
Un trois-mâts-goélette terre-neuvas, Les deux Frères revenant des côtes du Groenland après une fructueuse campagne de pêche, a sombré lundi après-midi [14 octobre 1935], au grand large des côtes du nord Finistère. Une voie d’eau, qui s’était déclarée à bord, ayant mis en danger le navire, l’équipage fut obligé d’armer les doris pour tenter de gagner la terre. Le voilier fut incendié au moment de son évacuation.
Hier soir, sur trente hommes qui composaient l’équipage des Deux Frères, seul trois manquaient à l’appel, mais on pensait qu’ils avaient été recueillis par un navire faisant route vers le nord.
Comment fut connue la nouvelle du naufrage
Nous avons dit que dimanche soir, vers 23 heures, le remorqueur de sauvetage Abeille 24 avait quitté Brest pour se porter au secours d’un pétrolier en feu entre le cap de la Hague et les côtes anglaises.
Quelques heures après, à 4 heures du matin, l’Iroise quittait également le port de Brest pour apporter son assistance au navire sinistré. Celui-ci avait été, entre temps, secouru par le contre-torpilleur britannique Wrestler et avait pu être ramené à Porland.
L’Iroise avait regagné Brest dans la journée de lundi, mais l’Abeille 24 avait poursuivi sa route jusqu’en Angleterre.
Le remorqueur se trouvait, hier matin, sur la route du retour lorsque, à 9h15, il émettait un radio annonçant qu’il avait recueilli à son bord trois hommes embarqués sur un doris appartenant à la goélette Les deux frères, qui avait sombré aux environs de 48°45 N et 4° 40 W.
Bientôt après, l’Iroise reprenait la mer. C’est ainsi que les hommes d’équipage de la goélette furent peu à peu retrouvés par les nombreux vapeurs envoyés à leur recherche ou alertés par les radios.
Un cargo hollandais l’Ariade, recueillit douze matelots, qui furent, par la suite transbordés sur l’Abeille 24.
L’Iroise en sauva également deux. Dans la matinée, l’aviso Aisne avait appareillé de Brest pour aider aux recherches. Puis le canot de sauvetage de la station d’Ouessant prit la mer, poussant jusqu’à cinq milles dans le N.-N.-O.
Dans l’après-midi d’hier, à 16h30, l’Abeille 24 ramenait vingt rescapés et une heure plus tard, l’Iroise en débarquait deux autres.
Cependant, on avait appris que deux naufragés avaient touché terre à Portsall et trois autres à l’Aberwrac’h dans la matinée. Ainsi dans la soirée d’hier, seuls trois hommes manquaient à l’appel : les matelots Le Calvez et le Gris et le novice Perquis.
Tous leurs camarades se trouvaient à l’inscription maritime de Brest, où le capitaine des Deux Frères déposait son rapport de mer entre les mains de l’administrateur en chef Mercier.
Les deux frères
Le trois-mâts-goélettes Les Deux Frères, ex La Tour du Pin, avait pour port d’attache Saint-Malo. Il appartenait à M. Lessard fils de Cancale.
Construit en 1921, il mesurait 34 m 16 de longueur et 8M 36 de largeur et jaugeait 268 tonneaux.
Ce navire, marchant à la voile et dépourvu de moteur auxiliaire, avait déjà fait de nombreuses campagnes de pêche à la morue sur les bancs de Terre-Neuve et au Groenland.
Le trois-mâts les Deux Frères était commandé par le capitaine Le Cossois avec pour second M. Marbou et pour lieutenant M. Quervarec .
Les trois premiers rescapés
Aussitôt connue la nouvelle du débarquement de trois rescapés, nous nous rendions à lAberwrac’h. Nous rencontrions d’abord M. Mériadec Menut, patron de l’Eole et M. Menut qui pilotèrent les naufragés jusqu’au port.
- Nous nous trouvions, disent-ils sur les lieux de pêche, à un mille dans l’ouest de l’île Vierge, lorsque, vers 9h30 l’un de nous vit un petit bateau qui paraissait étranger au pays. Un doris ? Des naufragés, peut-être ?
- Alors, nous avons couru, dessus. Trois hommes montaient la barque. Ils nous demandèrent de leur indiquer la passe. Nous avons viré de bord pour les piloter, puis enfin, nous les avons pris en remorque. A 11h15, nous débarquions ici. Voici d’ailleurs nos trois amis.
Trois solides gaillards aux figures franches, souriants, pas plus fatigués, semble-t-il que si rien d’anormal ne s’était passé. et pourtant, ils venaient de vivre des heures pénibles.
Le lieutenant Emmanuel Quevarec est accompagné du matelot Louis Tilly et du mousse Joseph Blettry, tous trois de Cancale.
-Nous avions, disent-ils, quitté Saint-Malo le 13 mars, pour Terre-Neuve. Sur le grand banc, la pêche fut bonne, mais la mer était assez mauvaise. Nous avons pu débarquer 1000 quintaux de poisson à Saint-Pierre.
Puis en route pour le Groenland. Quelques coups de temps, mais rien de bien mauvais. Pêche moyenne :15 à 20 quintaux par jours, parfois plus. Vers le 24 septembre, il fallut songer à rentrer en France, avec environ 3800 quintaux de morues.
Une voie d’eau, d’abord bien minime se déclara. Il fallait pomper dix minutes à chaque quart.
Huit jours plus tard, il fallut actionner les pompes 20’ dans le même temps. la situation devint par la suite plus critique et finalement, ce derniers jours, les pompes marchèrent 2h30 par quart.
Dimanche 13, nous avons croisé des chalutier il n’y avait plus moyen de franchir les pompes, c’est-à-dire qu’il entrait autant d’eau dans le navire que nous en pouvions tirer.
Nous étions à 50 milles de terre, sur la Grande Sole, lundi vers 15h30 lorsque le capitaine ordonna d’évacuer le navire. Il y avait 2 m 50 d’eau dans les cales.
L’épave, avant d’être abandonnée, fut incendiée afin qu’elle ne puisse présenter aucun danger pour la navigation.
Dispersées dans les doris nous avons fait route tant à la voile qu’aux avirons, pour trouver le feu d4Ouessant.
D’autres rescapés précisèrent que pendant les cinq derniers jours l’équipage dut pomper sans arrêt. Les renseignements recueillis auprès des naufragés sont parfois quelque peu contradictoires. Certains des rescapés seraient en désaccord sur plusieurs points avec leurs camarades.
Le navire avait au cours de sa campagne, connu quelques mauvais jours et son escale à Saint-Pierre, disent certains, avait été imposée par ce fait que toutes les chaines du bord étaient en avarie.
Le récit du commandant Fabre de l’Abeille 24
Nous avons rencontré, dans la soirée, sur les quais du port de commerce, le commandant Fabre de l’Abeille 24, qui nous dit dans quelles circonstances il recueillit la plus grande partie de l’équipage de la goélette naufragée.
-Ainsi que vous l’annonciez hier, nous avions appareillé dimanche soir de Brest pour nous porter au secours du pétrolier norvégien Barjonn, en feu dans la Manche.
Quand nous arrivâmes sur les lieux, le navire sinistré était déjà assisté d’un destroyer anglais qui le convoyait à Portland. Nous allâmes jusqu’à ce port, puis lundi soir, nous fîmes route sur Brest.
Hier, vers 8h30 nous nous trouvions à environ sept milles dans le nord de l’île Vierge, lorsque nous aperçûmes un doris monté par trois hommes, qui nous firent des signaux de détresse.
Je m’approchai et recueillis les naufragés de fatigue.
Parmi eux se trouvait le second capitaine Eugène l’Hermtte qui me raconta comment la veille, vers 15H30, avec tous les autres membres de l’équipage, ils avaient été obligés de quitter la goélette Les Deux Frères dans onze doris, ayant chacun à bord deux ou trois hommes.
J’alertais immédiatement par T.S.F tous les navires se trouvant dans les parages, ainsi que l’Iroise, puis je commençai les recherches et bientôt, je rencontrais deux autres doris, l’un monté par trois hommes, l’autre par deux.
Toute la matinée nous croisâmes au large de l’île Vierge et d’Ouessant. En revenant vers midi, je rencontrai le cargo hollandais Ariade qui me signe d’approcher. Le cargo avait recueilli douze hommes que je pris à mon bord.
Ensuite je continuai à croiser dans les environs, dans l’espoir de découvrir d’autre naufragés.
L’aviso Aisne, ainsi que lIroise et un bateau anglais poursuivaient également les recherches, tandis que par radio, je m’empressais de faire rassurer les familles des rescapés que j’avais à mon bord.
Ce que nous dit le capitaine Le Cossois
Le capitaine Le Cossois se présentait dans la soirée à l’inscription maritime où il devait être reçu par M. Mercier, l’administrateur en chef.
-C’est, nous précise-t-il, le 14 septembre, alors que nous pêchions sur les bancs du Groenland, que la voie d’eau se déclara, Elle était due, après plusieurs coups de temps à la fatigue du navire et au mauvais état de la louve du gouvernail.
J’ai alors voulu rallier au plus vite les côtes de France.
La voie d’eau était située dans un endroit inaccessible. Au moment de l’abandon du navire, il n’y avait plus rien à faire. 2 m 30 d’eau dans les cales Les pompes n’étalaient plus. Nous étions par 49°7 de latitude et 6°10 de longitude.
J’ai quitté le bord le dernier, après avoir incendié l’épave ; j4étais accompagné de deux matelots, les frères Hardoui.
L’assurance du navire ? Elle est de 100 OOO francs et représente les trois quarts de la valeur réelle.
Maintenant ce que nous voudrions c’est avoir des nouvelles de Le Calvez Le Gris et Perquis.
L’équipage
Le 27 hommes réunis jusqu’à présent à Brest sont : MM. Francis Le Cossois (Capitaine), Louis Bouillon, Louis Hervé, Alexis Gallais, Ollivier Harnouin, Jean Duchesne, Eugène lhermitte, Jean Donetil, Abel Flory, Bletry (2eme lieutenant), Francis Fourcin, Henri Rey, Louis Christel, Jean-Baptiste Alix, François Landrin, Charles Mercel, Auguste Le Bas, Kervarec, Désiré Le Cossois, Louyis Tilly, Jean Bourel, Henri Chevalier, Georges Le Clerc, Marcel Laveuve, Eugène Bauvat, Joseph Bletry (Novice) et Marbon.
Tous ont fait une première déclaration à l’inscription maritime et ont été hébergés dans différents hôtels de Brest. Ils seront entendus, ce matin plus longuement, par M. Mercier.
Article de la dépêche de Brest du 16 octobre 1935
Après le naufrage du trois-mâts goélette « Les Deux Frères »
Le capitaine Le Cossois a déposé hier son rapport à l’inscription maritime
Les trois hommes dont on était sans nouvelles ont touché terre à Plouescat
On pourrait retrouver, dans cette malheureuse affaire de naufrage du trois-mâts-goélette Les Deux Frères l’atmosphère d’un roman de Jack London, qui lui aussi, vécut bien des années sur les voiliers du Nord.
Mais il semble bien qu’il faut ici se borner aux constatations.
Nous donnions, hier les premiers renseignements susceptibles d’être recueillis à l’arrivée des naufragés, tant à l’Aberwrac’h qu’à Brest. La journée de mercredi devait cependant permettre d’apporter plus de lumière sur cette affaire, sans doute plus simple qu’elle ne le parut au premier abord.
Dès hier matin, les 27 rescapés des Deux Frères se trouvaient réunis dans les bureaux de l’inscription maritime, au port de commerce, où fonctionnait la première commission d’enquête, présidés par M. Mercier, administrateur en chef, assisté de MM. Rosé, inspecteur de la navigation à Saint-Malo et Vaillant, assistant technique.
Tour à tour, plusieurs hommes furent interrogés, dont le lieutenant, Emmanuel Quervarec. Cependant certaines têtes commençaient à s’échauffer et force fut de ne recueillir qu’une physionomie hâtive de l’affaire.
Toutefois, à l’issue de ces divers interrogatoires, M. Mercier pouvait situer les faits avec une suffisante précision pour permettre aux membres de l’équipage de prendre à 14h30 le train qui devait les ramener à Cancale, où les attendaient des familles anxieuses.
Le retour des trois derniers naufragés
On avait appris, dans la matinée, que les trois hommes qui manquaient à l’appel depuis la veille, les matelots Le Calvez et le Gris et le novice Perquis, avaient touché terre à Plouescat.
Tous trois devaient arriver à Brest, au début de l’après-midi dans un état de fatigue considérable. après quelques heures passés sur les quais du port de commerce, ils purent fournir de renseignements utiles à la commission d’enquête.
Le rapport du capitaine Le Cossois
Le capitaine Le Cossois, dont nous avions déjà la veille donné une déclaration, voulut bien nous accorder une longue interview.
-Laissez-moi d’abord vous dire, commence-t-i, combien je suis heureux de savoir que les trois derniers hommes qui manquaient dans mon équipage ont été recueillis sains et saufs à Plouescat. Le principal est que ce malheureux naufrage n’ait fait aucune victime.
Je sais que certains de mes hommes ont tenu des propos qui me sont défavorables, mais je ne puis traiter de telles paroles, que par le mépris. D’ailleurs, en de tels moments, ce ne sont pas des déclarations d’ordre sentimental qui sont de mise, mais bien des arguments de fait. et je ne puis faire mieux que de vous montrer ici mon rapport de mer le voici :
Le Cossois Francis, capitaine au long-cours, armateur et capitaine du voilier Les Deux Frères, déclare avoir quitté Saint-Pierre et Miquelon le 5 juin, ayant livré une partie de ma pêche du printemps et fait route pour les bancs de Terre-Neuve après avoir fait marée sur le banc de Saint-Pierre.
J’appareille le 0 juin pour les bancs du Groenland où, après une traversée sans incidents, je mets en pêche du 2 juillet au 23 septembre inclus sans interruption.
Pendant notre séjour sur les côtes de Groenland, nous avons eu à subir de nombreuses tempêtes, durant lesquelles le navire a beaucoup souffert. Dans les parages, la mer était très dure.
Le capitaine Le Cossois nous précise que c’est à ce moment que le Saint-Coulomb, voilier de Saint-Malo sombra. Puis il reprend la lecture de son rapport :
Le 14 septembre, mauvais temps, vent du N.-E. Le navire fatigue surtout au travers de la lame ; Rappels de roulis très violents, ce qui nous oblige à virer l’artimon pour maintenir un peu le navire. Le bateau donne aussi de forts coups d’aculage qui ébranlent le gouvernail.
Au soir, les pompes accusent un peu d’eau (1/4 heure de pompes). Du 14 au 23 septembre, à peu près même eau. Nous pompons environs 15 à 20 minutes matin et soir.
Les vents prenant au N.-E, dans l’après-midi du 23 rappelé les doris plus tôt. Appareillé à 16 heures pour faire un peu de sud. Le 24, à 16h30, par E ;-O d’Holstenborg (Lattitude 66° 55 N, longitude 54°30 Ouest) , nous ne rencontrons pas de navires. Toujours à peu près la même eau dans les cales : dix minutes aux pompes par quart de cinq heure.
Le 25, le vent fraichit Vent E.-N.-E. mer agitée. Commencé à dégager le pont et fait route vers la France. Point de départ à 6 heures : 66° 6 N et 55° O.
L’avarie
L’eau rentre par la partie inférieure de la louve du gouvernail et par le travers du grand mât où, au roulis, les barreaux jouent de 5 à 8 centimètres. Les coutures s’entrouvrent. Il m’est impossible d’y remédier.
26 septembre Beau temps. Changé l’écoute de grand-voile et l’écoute tribord d’artimon, Affalé la chaine. Vérifié ou changé les empointures des voiles.
27 septembre Vents de suroit au S.-S.-E. force 2 à 4. Sérré les petites voiles.
28 septembre. Vent de S.-E à E force variable. Mise en cape sèche, bâbord amure. Un quart d’heure de pompe par quart
29 septembre. Vent N.E et N.-N.-E force 3 à 4
30 septembre Vent du N. à E. force 2 à 3
L’eau monte
1er octobre. Vents E. S.-E. sale temps bouché. Averses, Mer très grosse venant de tous côté. Obligés de prendre la cape bâbord amure, à 22 heures. Vingt minutes de pompe par quart.
2 octobre. Vent de N. force 5 à 2
3 octobre. Raidi les haubans tribord. La brise prend et hâle le sud en fraichissant dans la nuit.
4 octobre. Temps douteux. Averses continuelles, vents variables en force et en direction, qui nous oblige à manœuvrer continuellement.
5 octobre. Très grosse mer. Le navire roule panne sur panne et fatigue. Les pompes accusent toujours de l’eau mais pas pour gêner. Fait petites toiles pendant la nuit, établi partout le jour et laissé porter d’un quart.
7 octobre. Forte brise W.-S.-W. Force 5 à 6. Grosse mer. Fait route avec deux ris dans l’artimon et perroquet serré. Le navire fatigue et les pompes accusent davantage d’eau. il faut les actionner 40 minutes par quart. Fait pomper toutes les deux heures. Essayé encore une fois, mais en vain, de remédier à l’avarie de la louve ; l’eau vient aussi sous la membrure bâbord arrière, où l’on ne peut accéder.
Tempête
8 octobre Vent W.-N.-W. force 8. Très grosse mer, surtout la nuit. Nombreux paquets de mer. Ceux-ci arrachent la porte de la cuisine et une partie des pavois de tribord par le travers.
La voie d’eau augmente. Rien à faire pour y remédier. Nous pompons 50 minutes par quart.
9 octobre. Vent W.-N.-W. au N ;-E. force 4. Mer houleuse. Les voies d’eau ont augmenté de façon inquiétante. Nous pompons de 25 à 30 minutes pour franchir les pompes.
Démoli une partie du vaigrage dans la cale pour essayer de voir quelque chose. Egalement pour la voie arrière.
Sur le pont, grande rue, quelques jambettes sont complétement démunie d’étoupe. Je les fais calfater, ainsi que le fronton de la première dunette sur la moitié de sa longueur. Les étoupes ne tiennent pas, le navire joue trop.
Nouvelle avarie
10 octobre Vents N.O. force4. Continué route sur phare carré. Le navire ne fatigue pas trop. Nous pompons une demi-heure par heure. Au matin nous avons découvert un trou dans le sel à bâbord avant. Fait dégager le sel pour essayer de voir quelque chose.
11 octobre. Vent N.-W. N.-N.-E. force 3. Continué route tout dessus. Même eau dans les cales. Aperçu par bâbord un vapeur faisant route à l’Est
12 octobre. Vents N.-W.-N.-W. Vu trois vapeurs, faisant route à l’Est.
Nous mettons plus de temps à franchir les pompes. Malgré mes encouragements, les hommes se plaignent d’être fatigués. Le sel fond toujours un peu dans la cale avant.
La fin d'un beau voilier
13 octobre- Vent W. –S.-W. Continué route pour atterrir sur Ouessant. Depuis trois heures on ne franchit plus les pompes.
4h30 : Laissé trois chalutiers par bâbord
9h : prévenu équipage de se préparer à toute éventualité et d’avoir à disposer les doris
12 h : Les pompes ne sont pas franchies et l’eau reste sur bâbord le navire étant à la gite de ce côté
14 octobre – Pompé sans arrêt. L’eau nous gagne rapidement. les hommes très fatigués, mènent les pompes avec moins de vigueur. A 14h l’eau ayant atteint 2 m 20 dans l’archi pompe elle affleure le parquet des logements. Les doris sont prêts et armés. Chaque homme a son poste d’évacuation désigné.
Le matelot Gallais vient me trouver et me dit qu’il est grand temps d’évacuer le navire.
Délibération avait d’ailleurs été prise au préalable avec les principaux de l’équipage. Procès-verbal en est consigné au journal de bord.
Mais je temporisais pour me rapprocher le plus de terre ou essayer de trouver un navire qui eût pu nous assister
A 15 heures, je mets en panne tribord amure. Commandé de débarquer les doris et de s’éloigner. Route au compas. Position 49° 07 N et 6° 10 O.
A 16 heures, je quitte le bord, le dernier, emportant mes papiers, après avoir mis le feu aux logements afin que l’épave ne présente pas de dangers pour la navigation.
Resté sur les lieux jusqu’à 18h 50, heure a laquelle mon navire a sombré. La manœuvre d’abandon s’est effectuée de façon parfaite. Les doris ont fait route par groupes toute la nuit. Moi-même je conduisais un groupe de trois doris, monté par neuf hommes.
Nous avons été recueillis le 15 vers 7h30 par le cargo hollandais Ariadne à bord duquel nous reçûmes un accueil cordial et sympathique tant du commandant que des officiers et de l’équipage.
Le commandant voulut bien suspendre sa route pour effectuer des recherches. Il nous débarqua ensuite sur l’Abeille 24, qui nous ramena a Brest au nombre de vingt. A bord de ce remorqueur nous fumes également l’objet du plus chaleureux accueil.
Tel est mon rapport, que je déclare sincère et véridique dans tout son contenu me réservant toutefois le droit de le compléter si besoin était.
Dans cette pénible aventure, il y aura eu un détail romanesque, un rayon de soleil : au moment de son naufrage le capitaine Le Cossois devenait père d’une petite fille gage de bonheur dans un foyer fondé depuis treize ans.
Le capitaine Le Cossois appartient à une vieille famille de marins, fort estimée à Cancale. A 37 ans il compte onze ans de commandement et 22 ans de navigation.
Il franchit en effet, au cours d’une carrière laborieuse tous les grades depuis celui de mousse jusqu’à celui de capitaine au long-cours.
- J’ai, nous dit le capitaine Le Cossois, commandé huit ans pour le compte du même armateur.
Querelles
Certes, la campagne du trois-mâts goélette Les Deux Frères ne fut pas heureuse. Non seulement le navire eût à subir les assauts d’une mer déchainée, mais à bord des querelles se firent jour, querelles qui, trop souvent, furent motivées sans doute par des rivalités inopportunes.
Quervarec, le lieutenant et certains hommes de sa bordée ont fait à l’inscription maritime des déclarations qui sur plusieurs points, sont en opposition avec celles du capitaine et de la majorité de l’équipage.
Les arguments présentés par Quervarec ne paraissent pas toutefois devoir résister à une enquête approfondie. il soutient cependant que « l’on aurait pu tenir encore 24 heures ».
Les dépositions reçues hier font allusion à quelques incidents violents qui se seraient déroulé à bord, mais l’état de plusieurs témoins n’a pas permis de pousser l’enquête. Les têtes étaient chez plusieurs membres de l’équipage, assez échauffées.
Il est toutefois, dès à présent, vraisemblable que cet accident de mer ne réservera pas de surprise intéressante.
Les rescapés de Plouescat
Nous avons dit, dans notre précédent article, que deux des naufragés, Jean Bourel et Henri Chevalier avait touché terre à Portsall, où ils furent l’objet de soins empressés de la part de M. Jézéquel, sous brigadier des douanes, qui les conduisit ensuite devant le représentant de l’inscription maritime.
Voici maintenant ce que déclarèrent à notre correspondant de Plouescat, à leur débarquement, Louis le Calvez de Cancale, François Le gris d’Hirel et Francis Perquis de Dinan, qui, dans leur doris avaient franchi près de 100 milles au cours d’une journée et de deux nuits de navigation :
-Lorsque nous eûmes quitté notre bateau en perdition, nous résolûmes de gagner, à force de rames, la côte d’Ouessant ; mais le courant était très fort dans les parages de l’île. Bien vite, nous nous sommes rendu compte que tous nos efforts étaient vains. Nous étions déportés vers le large.
Nous avons fait contre mauvaise fortune bon cœur. Nous avons mis à la voile, persuadés d’ailleurs que nous serions aperçus par des navires qui naviguent dans la Manche. Nous avions une boussole, 30 litres d’eau et quelques biscuits : avec cela, on pouvait voir venir.
De fait, au cours de la nuit de lundi à mardi et pendant la journée de mardi, nous avons avisé plusieurs vapeurs. Nous avons fait les signaux réglementaires. Sans doute, n’ont-ils point été vus. En tout cas, personne n’est venu à notre secours.
C’est mardi, dans la soirée, que nous avons aperçu la côte du Finistère pour la première fois. Mais l’obscurité vient vite, et nous savions que, dans ces parages, les brisants sont nombreux. Nous avons préféré attendre le jour pour aborder. Ce matin, nous avons découverts la petite baie de Pors-Gwen et son abri, où nous avons débarqué.
Nous étions d’ailleurs sans inquiétudes. Nous n’étions pas trop fatigués, et si nous n’avions pas trouvé dans le Finistère un point d’atterrissage, nous aurions poussé jusqu’aux environs de la baie de Saint-Brieuc.
Nous n’avons guère souffert que du froid qui, dans la nuit de mardi à mercredi, fut assez vif.
Dans l’après-midi d’hier, à 14h30, les membres de l’équipage des Deux Frères, à l’exception de l’un d’eux égaré en ville, ont pris le train pour Saint-Malo
Hier soir, le capitaine Le Cossois, qui ne partira pas aujourd’hui aremis à l’inscription maritime son rapport de mer et ses cartes marines.
P.M. Lannou
Article de la Dépêche de Brest du 17 octobre 1935
Commentaires :
Organisation des secours en 1935
Au-delà des polémiques autour de ce naufrage, ce récit détaillé nous permet de voir les moyens dédiés et l’organisation du sauvetage à cette époque En 1935 nous sommes à une époque charnière pour ce qui est des communications et pour l’organisation des secours à la mer. Nous avons d’un côté le trois-mâts goélette avec sa voie d’eau. Il n’a aucun moyen de communication, aucun moyen de demander du secours à part mettre son pavillon en berne. Il fonctionne en autonomie totale ne comptant que sur son équipage, des heures de pompe épuisent l’équipage. L’équipage évacue le navire avec les doris, ils ont l’habitude de tirer sur les avirons et de faire route au compas dans les brumes des bancs, faire 100 miles en Manche ne leur pose pas de gros problème. Toutefois la situation qui s’est bien terminé aurait pu tourner aux drames si le vent avait forci au secteur NE ou E et ou les doris auraient été envoyé vers le large. C’est le schéma classique du XIXème siècle.
De l’autre côté les moyens de sauvetage sont moderne, le remorqueur qui découvre les premiers doris prévient par radio les autres navires sur zone et prévient le puissant remorqueur de sauvetage Iroise, le canot de sauvetage motorisé de Ouessant est également prévenue pour se mettre en recherche. Cela permet d’augmenté les moyens de recherche. Le commandant du remorqueur Abeille 24 fait prévenir les familles des marins sauvé certainement par téléphone par l’intermédiaire des sémaphores. Les familles des terre-neuvas ont des nouvelles des marins par les lettres postées à l’escale à Saint-Pierre ou collectées par le Saint-Yves navire d’assistance médicale Les autres navires de retour donnent des nouvelles des navires croisés.
Les causes du naufrage
Revenons sur les causes de ce naufrage, le trois-mâts goélette Deux Frères appelait avant son rachat par le capitaine Le Cossois La Tour du Pin, il a été construit en 1921 au fameux chantier Gautier de Saint-Malo. Les constructions du chantier Gautier étaient réputées et l’on ne peut avoir aucun doute sur la qualité de la construction de ce trois-mâts goélette. En 1935, ce navire à 14 ans et a une carrière bien rempli de campagnes sur les bancs de Terre-Neuve, dans des conditions particulièrement dures. 14 ans cela commence à faire de l’âge pour un navire en bois. Durant cette campagne il subit des jours de grosse mer alors qu’il est mouillage sur les bancs du Groenland, la voute à l’arrière et l’ensemble du gouvernail sont soumis à des efforts important, au roulis le poids de la mature fait travailler le navire.
A son départ du Groenland et sur la route du retour il a une voie d’eau à la louve, puits étanche ou passe la mèche de gouvernail, c’est un point fragile du bateau et difficilement accessible pour d’éventuelles réparations, toutefois ce point délicat est bien connu des charpentiers et est toujours réalisé et calfaté avec soin. Les Deux Frères a également des voies d’eau par le travers les mâts, les barreaux jouent de 5 à 8 cm comme on peut le lire dans le rapport du capitaine, ce qui est énorme, le navire semble en partie délié, les assemblages ont pris du jeu et n’assure plus la cohésion de la coque. Un navire délié fait de l’eau lorsqu’il est soumis aux efforts des mouvements de la mer. Il n’est pas étonnant que les voies d’eau s’aggravent et provoque le naufrage du navire.
Gouvernail d’un navire terre-neuvier :
1. Mèche
2. Chapeau d’évêque
3. Louve
4. Etambot
5. Bijoute
6. Etambrais
7. Safran
8. Raignure (sur l’arrière du safran)
9. Femellot (Ferrure femelle))
10. Aiguillot (Ferrure male)
11. Evidement pour la épose du gouvernail
12. Pièce en coin facilitant la dépose par un mouvement vers le haut
Sources et liens :
Je remercie particulièrement Alain-Marie Gautier petit fil du constructeur pour m’avoir donnée une photo du plan original de chantier du trois-mâts goélette « La tour du Pin » et de nombreux plan des structures arrière des navires terre-neuvier et l’autorisation de publier un extrait de plan de sa monographie du terre-Neuvier Père-Pierre
Dépêche de Brest du 16 octobre1935
Dépêche de Brest du 17 octobre 1935
Le bateau de pêche, Hirondelle, patron Louis Tanguy de Moguériec, se trouvait au large des Triagoz. Les hommes préparaient le repas, le matelot Victor Tanguy, frère du patron, âgé de 17 ans, était à l’avant, pour étarquer la drisse de flèche, quand elle se rompit. Perdant l’équilibre, le malheureux tomba à la mer, sans pousser un cri. ce n’est qu’au bruit de la chute, que les autres remarquèrent son absence.
Le courant étant très fort et la mer dure, Tanguy, gêné par son ciré, avait peine à se maintenir sur l’eau. Le vent de son coté, empêchait le bateau de l’approcher directement. On lança à Tanguy deux avirons, et ce n’est qu’après bien des efforts qu’il put les attraper. Néanmoins, ils l’aidèrent un peu à se maintenir sur l’eau.
Le patron vira de bord et passa près du malheureux sans pouvoir le saisir. Il fallait virer une deuxième fois pour pouvoir l’attraper et le hisser à bord ; On lui donna les soins nécessaires et il fallut rejoindre le port.
Le patron Tanguy, de l’Hirondelle est un des premiers qui concurrent au sauvetage de l’équipage du brick Sainte-Marthe, naufragé près de Roscoff, il y a quelques années.
Ouest éclair du 02 octobre 1909
Commentaires :
La baie de l’île de Sieck était connue depuis longtemps pour la pêche à la sardine. Dans l’ouest de cette baie l’anse de Moguériec à l’embouchure d’une toute petite rivière n’était pas protégée et abritait tant bien que mal quelques petites embarcations.
Avant la guerre de 14 quelques pêcheurs commandent aux chantiers de Carantec des sloups un peu plus grand commencent à traquer la langouste plus loin en particulier du côté des Triagoz et de Sept-Iles. le port Trébeurden devient leur base avancée, ou ils livrent localement aux hôtels mais ils vendent aussi aux viviers de Roscoff lorsqu’ils rentrent en flottille à Moguériec. C’est le début de la belle épopée maritime du port de Moguériec. La croissance et la réussite économique de ce port, commencé au temps de la voile mériteraient une large étude.
Ces images de tempête dans le Golfe de Gascogne nous laisse imaginer le sort de l'équipage du dundée "Mère de Miséricorde"
Quinze jours de gros temps
En route pour le Portugal – Impossible d’avancer – On mange froid et mouillé
Le homardier Mère de Miséricorde, capitaine Le Gall, parti le 23 janvier de l’Aberwrac’h pour Vianno Del Castello (Portugal) est entré hier soir [5 février1904] à 7 heures à l’Aberwrac’h avec une petite voie d’eau et une partie de ses pavois enlevée par la mer sans avoir pu par suite du gros temps rejoindre son port de destination.
L’équipage est extrêmement fatigué. Pendant quinze jours passés dans le Golfe de Gascogne, les marins n’ont pu prendre d’aliments chauds, la cuisine étant impraticable vu l’état de la mer
Ouest Éclair du 07 février 1904
Commentaires :
La tempête du 03 février 1904 est particulièrement violente et fait de nombreux dégâts sur toute la côte bretonne, elle est qualifiée dans les journaux de raz de marée et d’ouragan. (Dépêche de Brest)
Le dundée « Mère de Miséricorde » du mareyeur Ouhlen de l’Aberwrac’h est un grand dundée à vivier armé au cabotage pour ramener des langoustes d’Espagne et du Portugal.
Ce grand dundée de 58,40 tx a été construit à Fécamp en 1877, un vivier a été construit, certainement à Paimpol, pour ce transport en 1902 bien que travaillant déjà à l’Aberwrac’h il est enregistré au quartier de Tréguier. A titre de comparaison le dundée Gabrielle de l’Aberwrac’h construit en 1877 à Rochester en Grande-Bretagne et faisant également le transport de crustacé jauge 46,87 tx a les dimensions suivantes : longueur 22,17m, largeur 4,91m et creux 2,99 m et est doublé en cuivre. Les caboteurs à vivier sont souvent appelé homardier, même si vers 1904 ils transportent principalement de la langouste.
Plan de pont du dundée Gabrielle de l’Aberwrac’h, un bateau capable d’affronter toutes les mers, le pavois de bonne hauteur est surmonté d’une fargue à l’arrière, en avant du mât d’artimon la claire voie du poste, la descente et les panneaux à caillebotis du vivier, au pied du grand mât un petit treuil (Photo Ar Vag tome II sur les langoustiers)
Un naufrage sur la cote finistérienne
Un cargo se brise sur les rochers de la pointe Saint-Michel. L’équipage est sain et sauf
Plouguerneau, 9 novembre [1927] (de notre envoyé spécial)- La tempête qui sévit depuis 48 heures dans l’ouest a causé un naufrage hier à l’endroit le plus dangereux de la cote finistérienne. a Plouguerneau, un petit cargo de 25 tonnes s’est brisé sur les rochers : l’équipage est heureusement sain et sauf.
Le sloop Corrèze immatriculé à ST Brieuc avait quitté Plymouth à 4 heures du matin il avait à bord des caisses vides et se rendait à Roscoff prendre un chargement d’oignons. Le temps était beau, et avant de quitter l’Angleterre, le capitaine de la marine marchande Yves Le Coadou, patron du bateau en avait averti par dépêche sa femme habitant rue du Quai, à >Paimpol. Les deux matelots, Le Roux, de Paimpol, propriétaire du Cargo et Pinguier de Saint-Malo en avaient fait autant. Mais dans la soirée le vent fraichit tour d’un coup, c’était la tempête.
Nuit Tragique
Elle s’éleva terrible et durant toute la nuit sans la plus légère accalmie. Tangage et roulis étaient si forts que les fanaux de position s’éteignirent. Chaque fois que le Corrèze rencontrait un vapeur. Le capitaine et ses matelots rallumaient leur lumière qu’ils abritaient de leur mieux sous leur veste, pour ne pas être coupé en deux. Cette précaution les sauva trois fois d’un abordage.
Pendant 14 heures, le capitaine et ses compagnons furent sur le pied sans prendre aucune nourriture. Vers six heures du matin il se produisit une accalmie. Hélas ! De courte durée, vers dix heures ils furent en vue des côtes bretonnes. Figé à sa barre, le capitaine maintenait le cargo debout à la lame.
Naufrage
A 13 heures, une série de grain annihilèrent totalement la visibilité. Pour comble de malheur, une brume épaisse s’épandit sur la mer.
Tout à coup le matelot Le Roux s’écria, affolé :
- « Patron, des cailloux par le travers ! »
- « Hissez les voiles au risque de casser tout ! » hurla le capitaine.
La manœuvre s’exécuta au prix d’incroyables difficultés mais le vent poussait à toute vitesse le sloop vers le rivage, et quel rivage était-ce ? Le plus dangereux des côtes finistériennes, la pointe Saint-Michel.
Comme une trombe le bateau effleura un énorme rocher, gigantesque monolithe qui s’avance dans la mer comme un éperon.
- « Sauvé ! » s’écria Le Coadou
mais au même instant un craquement fit tressaillir le bateau qui venait de toucher. Un audacieux coup de barre redressa le cargo qui se couchait, puis trois énorme vagues le submergèrent.
- « Sauve qui peut ! s’écria le capitaine, nous coulons ! »
Les matelots empoignèrent les bouées, Yves Le Coadou une échelle et ils se jetèrent dans la mer ; il était temps. Un formidable remous souleva le petit cargo qui retomba sur un rocher en se séparant.
L’avant tournoya sur lui-même, puis, comme projeté par une catapulte, il alla s’incruster sur une roche à 100 mètre de là. L’arrière rebondit de caillou en caillou pour venir s’ouvrir sur de grosses pierres avec un fracas de canon lâchant ses bordées.
Les trois naufragés, sain et saufs, contemplèrent longtemps les restes de leur pauvre navire, puis la réaction opérant, ils s’embrassèrent en pleurant, de leur sloop coquet et bien aménagé il ne restait que des débris informes et des épaves flottantes.
De braves gens
Mais on avait vu le sinistre. C’était M. et Mlle Normand, cultivateur à 300 mètres de là, près de la chapelle Saint-Michel. En hâte ils aidèrent Yves Le Coadou et ses matelot à sortir de l’amas de rochers où le le flot les avaient poussés et les conduisirent à leur ferme.
Dès qu’ils se furent chauffés et réconfortés, ils retournèrent sur les lieux du naufrage. c’est là que nous les avons rencontrés, hier soir, en compagnie de MM. Abjean, maire de Plouguerneau, et du syndic des gens de mer , M. Labous.
La mer déferlait encore avec rage et la lune blafarde éclairait cette scène de désolation. Par l’ouverture béante de l’arrière du bateau, le capitaine et ses compagnons cherchaient leurs vêtements et des papiers laissés par le flot rageur. Ils en firent un paquet qu’ils transportèrent chez M. Normand où ils ont passé la nuit.
Ajoutons que dans la soirée, des inconnus descendant sans doute des pilleurs d’épaves d’autrefois, ont fait main basse sur tout ce qui pouvait être facilement emporté, mais le plus précieux avait été heureusement sauvé.
V. Boisseau
Ouest Éclair du 10 novembre 1927
Pilleurs d’épaves !
Un acte de sauvagerie sur la côte finistérienne
Nous avons relaté, ces jours derniers, les circonstances dans lesquelles le sloop Corrèze, commandé par le capitaine de la marine marchande Yves le Coadou fut assailli en manche par une forte tempête, et alla s’échouer sur les roches de la pointe St-Michel, à Plouguerneau,n alors qu’il venait de Plymouth et se rendait à Roscoff , naviguant sur lest, avec un chargement de 900 sacs vide.
Le naufrage eut lieu le 9 novembre vers 14 heures. Le capitaine Coadou et les deux hommes d’équipage, François Le Roux 29 ans matelot et armateur du sloop et le matelot Jean Pungier furent recueillis par de braves gens, les Normand, de Trolouch en Plouguerneau.
Lorsque vers 18 heures, tout trois, après avoir effectué les démarches nécessitées par cet accident de mer, gagnèrent la grève, le cœur navré, un spectacle inattendu et lamentable les cloua sur place.
Le sloop était complétement à la côte et plus de 150 personnes, hommes femmes et enfants, procédaient méthodiquement à son pillage.
Le capitaine et ses matelots s’élancèrent vers le sloop, pour tenter de mettre fin à cette scène de piraterie, mais ce fut en vain. Plus de 20 pilleurs se disputaient à bord les divers objets que contenait le bateau, et ce n’est qu’à grand peine que la capitaine put accéder à sa cabine, car les pilleurs l’en empêchaient.
Saisissant la barre du gouvernail, il en menaça ceux-ci pour les faire quitter le sloop, mais voyant qu’ils allaient lui faire un mauvais parti, il se borna à sauver les quelques objets qu’il put arracher aux pirates, lui et ses matelots avaient réussi par deux fois à remplir des sacs de matériaux divers, et à les déposer sur la grève, mais chaque fois qu’ils avaient le dos tourné, les objets disparaissaient.
De tous les habitants de la côte, seul le goémonier Michel Normand, s’offrit à aider les membres de l’équipage et au moyen d’une charrette, des agrès du sloop furent transportés dans la cours et dans une crèche de sa ferme. Mais lorsqu’ils revinrent quelques temps plus tard avec une seconde charretée, ils constatèrent que les pilleurs avaient laissé la place nette.
Malgré la présence sur les lieux de M. Abjean, maire de Plouguerneau et du syndic des gens de mer, le pillage continua sous les yeux du capitaine et de ses hommes qui y assistaient impuissants.
Ces scènes de piraterie, incroyables à notre époque et dans notre pays se poursuivirent jusqu’à une heure avancée de la nuit, et le lendemain matin, l’on ne trouva plus que la carcasse du bateau.
Les planches de la coque et du pont, les madriers, les agrès, les voiles, 500 mètre de cordage, 800 sacs vides, 20 poulies, 70 paquets de cigarettes, 40 paquets de tabacs, les vivres, les ancres, les chaines, la literie, les vêtements des hommes de l’équipage et du capitaine, leur montres, leur argent, leurs souliers etc… Tout avait disparu, et se trouvait dispersé et soigneusement caché dans les fermes du voisinage. Il est impossible d’évaluer le montant de la multitude d’objets volés, mais il est certain qu’il se chiffre par plusieurs milliers de francs.
- « J’ai déjà vu trois naufrages dans la région de Saint-Malo, nous a dit le matelot Pungier, mais jamais il ne m’a été donné d’assister à de pareille scènes de pillage. je ne pouvais pas supposer que des marins étaient capables de dévaliser ainsi, des camarades dans le malheur ».
La gendarmerie prévenue, a ouvert une enquête et tous les pilleurs d’épaves seront poursuivis, comme ils le méritent, devant les tribunaux. il faut pour que ce soit le dernier fait de sauvagerie enregistré chez nous. Il le faut quels que soient le nombre et la qualité des voleurs.
La rédaction du journal
Ouest Éclair du 15 novembre 1927
Le journal la dépêche de Brest du 14 novembre apporte les précisions suivantes :
« La brigade de gendarmerie de Lannilis a procédée, le lendemain du naufrage, à de nombreuses perquisitions afin de retrouver les objets pillés. Les recherches ainsi faites, ne sont demeurées vaines et l’on compte aujourd’hui une vingtaine d’inculpations.
Dissimulés dans des endroits les plus divers, on a retrouvé des sacs des aussières, du bois, quelques vêtements, du filin. Dans le champ voisin d’une ferme on a même découvert, enfouie en terre une large caisse emplie de pains de stéarine qui provenait d’un précédent naufrage. Cependant il a été impossible de retrouver les objets les plus précieux, tels que les appareils de navigation : boussole, montre, baromètre, les poulies, les chaines, une ancre, des voiles, le mât de flèche etc..
Mais la crainte du gendarme est le commencement de la sagesse à en juger par les faits qui ont suivi les perquisitions. la nuit, de mystérieux personnages sont venu apporter près des divers objets légalement déposés chez M. Normand, des sacs, une chaine, des vêtements. On espère que ces restitutions se feront plus complètes. quoi qu’il en soit les recherches se poursuivent.
Commentaires
Le pays Pagan est bien connu pour son pillage d’épave, la littérature romantique du XIXèmme et plus tard les journaux s’en sont emparés pour rédiger des textes à sensations.
Mais regardons ses actes de pillage sous un angle différent. Le goémonier, le paysans de la côte tire parti de la moindre ressource, le moindre morceau de bois qui arrive à la côte est toujours réutilisé les échouages représentent toujours des opportunités.
Dans notre cas un sloup de commerce s’échoue par gros temps sur les rochers, il est rapidement brisé en deux et la mer ne va pas tarder à briser entièrement la coque et à en disperser les morceaux. La population locale accoure et récupère le plus de chose possible. C’est une lutte contre la montre avec la mer qui va pas tarder à tout détruire, disperser, emporter, pour « sauver » le plus possible d’objets du bord.
Bien sûr, ce sauvetage de matériel est au profit des sauveteurs, c’est le plus intrépide, le plus rapide qui va en tirer un plus grand avantage. Il n’y a plus de notion de propriété du navire, dans la logique du pilleur l’épave appartient à la mer et donc à tous.
Comment des gens qui ont cette logique de récupération peuvent-ils voir un bateau se faire détruire par la mer, sous la surveillance de douaniers ou de gendarmes sans la moindre action, avant que s’organise officiellement le sauvetage.
Le pillage d’épave n’est-il simplement, pour les gens de la cote, du sauvetage en vue de réutilisation de matériel ?
Une merveilleuse découverte que ces trois photographies d’un sauvetage, les photographies de canots de sauvetage à l’aviron en cours d’intervention sont rares, la majorité des clichés en mer ou de mise à l’eau de canot de sauvetage sont lors de sorties d’entrainement souvent par beau temps.
Nous avons pu retrouver les circonstances exactes de ses photographies : nous avons tout, le nom du photographe, la date et l’heure des clichés et les noms des principaux protagonistes.
Ces trois merveilleux clichés ont été pris par Henri Cabioch, le 17 juillet 1936 à 18h45.
Henri Cabioch, née en 1909, marchand de légumes à Chartres, était en ce mois de juillet 1936 de retour dans son pays de naissance, certainement pour négocier des achats d’oignons ou de pommes de terre.
Mais venons-en aux circonstances de ce sauvetage, voici donc un article de presse de l’époque relatant de manière détaillée les événements
La Tempête
Deux bateaux de pêche en péril.
« Vendredi [17 juillet 1936], le vent, dans la matinée, soufflait déjà avec violence de la direction du sud-ouest, dégénéra en tempête au début de l’après-midi à l’heure du flot, surprenant les bateaux qui se trouvaient à ce moment sur les lieux de pêche. Deux de ceux-ci, qui, vers 14 heures, se livraient à la pêche aux langoustes et homards, et qui venaient de procéder à la levée de leurs casiers, à environs 3 milles au large de Pontusval, subirent bientôt les assauts de la tempête.
C’était le canot « Renard », monté par un seul homme, le nommé François Page, âgé de 60 ans, marié et père de deux enfants, demeurant à Plounévez-Lochrist, et le sloop « Corentine » du port de Brignogan, monté par deux homes, le patron Yves Caradec, 32 ans, marié et père d’un enfant et le matelot Jean Tanguy, célibataire.
Le « Renard » vit son gouvernail enlevé par un paquet de mer et la « Corentine » vit sa grand-voile déchirée et enlevée par le vent. Désemparés, les deux bateaux furent poussés vers le large et se trouvèrent dans une situation périlleuse. Les équipages firent des appels et signaux de détresse qui furent bientôt aperçus par M. Jean-Marie Favé patron du canot de sauvetage « Georges-Bréhant », de la station de Pontusval qui se trouvait heureusement sur la dune.
Les canotiers, alertés par Favé, arrivèrent et procédèrent au lancement du bateau de sauvetage qui se dirigea sur les lieux et accosta après bien des difficultés les deux bateaux en détresse, qu’il prit en remorque. Mais la tempête redoublant de violence et le vent soufflant de terre, sauveteurs et sauvetés se virent dans l’impossibilité de regagner Pontusval : ils n’eurent d’autre ressource que de fuir devant la tempête et d’essayer de gagner Roscoff, qu’ils atteignirent avec de grandes difficultés vars 18h45 sains et saufs.
Les équipages ont reçu à Roscoff le meilleur accueil de la part de M. Garnier président du comité local de la Société centrale de sauvetage des naufragés, qui les fit diriger sur l’hôtel de Bretagne, où ils ont été hébergés. Pour passer la nuit, M. et Mme Alexandre Le Saout, gardiens de l’Abri du marin, leur ont donné asile.
Nous félicitons le patron Favé et ses canotiers pour la promptitude à porter secours aux équipages en péril, qui aurait certainement perdu la vie. Nous félicitons aussi les époux Alexandre Le Saout pour le service rendu à ces derniers.
Aujourd’hui samedi, à 8 heures, le « Georges-Bréhant » a quitté notre port pour regagner sa base de pontusval.
Dépêche de Brest du 19 juillet 1936
Le canot de sauvetage Georges Bréant construit en 1910 aux chantiers Augustin Normand du Havre est du type 9.80 m à grande stabilité Il est affecté à la station de Pontusval pour remplacer le canot Marie
Le patron Jean-Marie Favé recevra en 1937 une médaille en récompense de se sauvetage
Je tiens à remercier les amis de Roscoff pour leur contribution Dany Guillou Beuzit pour avoir ressorti ses négatifs de ses archives familiales, Guy Keromès et Pierre Cuzon pour les avoir scannées et mis en ligne sur facebook ou je les ai découvertes.
On écrit de Roscoff, le 28 juillet 1867 :
Le Prince-Jérôme, revenant d’Angleterre et ayant à son bord le prince Napoléon, vient de relâcher dans le petit port de Roscoff, après avoir échappé à un grand danger, à la suite d’un phénomène assez extraordinaire, dans nos parages du moins, et qui s’est produit hier dans la Manche.
Pendant toute la nuit, par un temps très clair et très froid, le ciel avait été sillonné d’éclairs. Le lendemain matin, les douaniers nous annonçaient que l’on devait s’attendre à quelque chose d’extraordinaire. ces douaniers sont des marins qui passent leur vie le long des côtes et connaissent admirablement les signes du temps ; Ils ne s’étaient pas trompés.
vers dix heures, on vit le ciel se couvrir du côté de l’Angleterre ; mais les nuages ne couvrir qu’un point très circonscrit. Bientôt on entendit le tonnerre gronder avec fureur, la foudre étincela, un orage violent se déchaîna, mais seulement sur un espace très restreint de la mer.
Eu égard à l’océan, on aurait dit une tempête dans un verre d’eau, tant elle était si peu considérable en étendue ; néanmoins, elle sévissait avec une grande intensité là où elle passait. On la voyait tourner sur les flots ; c’était un cyclone en miniature.
Vers dix heures on entendit trois coups de canon. Un navire était-il en détresse ? C’était peu probable. Comment ce si petit gros temps aurait-il pu menacer un bâtiment ? On attendit. Les coups de canon ne se répétèrent point. Vers midi tout était redevenu calme.
Mais à 5 heures, toute la population courut au port ; un grand navire de guerre était en vue : C’était le Prince Jérôme, que beaucoup croient être un petit bâtiment, quoiqu’il mesure 106 mètres de longueur [En réalité 79m] , taille que lui envieraient beaucoup de frégates. Le navire, trop fort pour entrer, demeura dans le grand chenal de Tizi-Aouza [Tisaozon] et le prince Napoléon débarqua avec son état-major.
On sut alors ce qui était arrivé en mer. Deux trombes énormes avaient menacé le navire ; le moins qui eût pu lui arriver, s’il avait été atteint, c’était d’être démâté. On sait que les trombes sont des espèces de typhons gigantesques qui s’établissent entre la mer et les nuages, et son animés d’un mouvement giratoire plus ou moins rapide. Rien de plus terrible que ces phénomènes si peu fréquents sur nos côtes On a vu les plus grands navires enlevés comme des fétus de paille et broyés en un clin-d’œil ; le commandant du yacht avait fait aussitôt charger ses canons, pour être en mesure de crever les trombes avec ses boulets ; puis avait donné ordre de s’en éloigner à toute vapeur. Le canon fut inutile, car le bâtiment gagna sur la tempête et se dégagea ; mais il est probable qu’un autre navire fut obligé de tirer, et ce serait celui-là dont nous avions entendu les détonations.
Ce sont les matelots qui nous ont raconté ces faits, pendant que la prince visitait Roscoff et poussait même jusqu’à St Pol de Léon ; ce matin, le bâtiment repartait à l’aube. On ne signale aucun naufrage.
Union Bretonne
Le lendemain le même journal complète avec les informations suivantes :
A ce que nous avons dit hier sur la relâche du Prince Napoléon à Roscoff, nous ajouterons qu’après avoir visité Roscoff, S.A. I. s’est rendue incognito, à St Pol de Léon. Vers 10 heures du soir il a rejoint son yacht.
A St Pol personne ne s’est douté de la présence du prince ; mais à Roscoff, l’arrivée du yacht a donné l’éveil, et les maisons qui bordent le quai avaient été illuminées spontanément.
La soirée était magnifique, et les habitants de Roscoff ont pu jouir de la vue des feux électriques dirigés sur la ville par le yacht.
Le Jérôme Napoléon est parti pour Ouessant dimanche matin.
Commentaires :
Le phénomène de trombe marine est relativement rare en Manche, mais ont en vois encore de nos jours, l’été 2015 il en été vue une à Port-Blanc et une autre en baie de St Brieuc. Au XIXème on croyait encore qu’un tir de canon à boulet pouvait interrompre un orage.
Le Prince Jérôme Napoléon est le neveu de Napoléon 1er et le cousin de Napoléon III, de la famille impériale il a un petit rôle politique au sein du 3ème empire il représente le courant laïque.
L’aviso Jérôme Napoléon a été construit en 1862 au chantier Augustin Normand au Havre, il fait suite en 1866 à un précédent yacht impérial également nommé Jérôme Napoléon. Il mesure 79 m de longueur, 10.6 m de bau et 5.5 m de creux. il jauge 1600 tonneaux et est équipé d’une machine Mazeline à 4 chaudières cylindriques de 450 cv. En 1870 il est renommé Desaix et reclassé comme corvette et affecté escadre de la Méditerranée. Déclassé il est démoli à Toulon en 1894.
L’aviso Jérôme Napoléon est le premier navire à être équipé de projecteurs électriques à arc de Foucaut installé en mars 1867 construit par l’entreprise Sautter il fonctionne grâce à un générateur Alliance. Le commandant du yacht impérial M. Georgette du Buisson en est très satisfait et voit dans ce progrès technologique une solution pour éviter les abordages en mer de nuit.
Sources et liens :
Les deux avisos Jérôme Napoléon sur le site Marine de Napoléon III
Plongeons nous dans la langue du XVIIIème pour découvrir cette dramatique histoire :
« On écrit de Morlaix les détails suivants d’une catastrophe touchante par ses circonstances. Le 16 du mois derniers, 17 bâtiments, partis de différents petits ports de cette côte, se réunirent et se portèrent en haute mer pour y faire une pêche plus abondante de maquereaux. Ces petites expéditions sont fréquentes ; un seul des bateaux réunis est ordinairement pourvu d’une boussole, et tous les autres règlent leur marche sur la sienne, depuis deux heures, ils avaient perdu la terre de vue ; ils étaient à 10 ou 12 lieues au large, la mer était belle, tout leur promettait une pêche heureuse. Un nuage noir, présage d’un orage certain, s’élève tout-à-coup du couchant et obscurcit peu-à-peu l’horizon ; le bateau principal donne le signal de retourner vers la terre et reprend ce chemin ; les autres le suivent : mais un vent impétueux du sud-ouest se déclare ; il sépare les bateaux ; les nuages en s’amoncelant , dérobe le soleil ; une des barques reste seule avec trois hommes, un vieux pêcheur, son fils et son neveu, tous de l’Armorique [1] ; après une prière courte et ardente, ils réunissent leurs efforts, le vieillard au gouvernail réglant la marche du bateau sur le soleil qui perce les nuages par intervalle, les deux autres s’occupant sans relâche à le vider de l’eau qui entre à grand flots.
Le vent augmente, la drisse et les écoutes crient et se rompent à la fois, la voile tombe, il faut que le travail de la rame y supplée. Le vieillard, plus accoutumé à ces scènes effrayantes, console son fils et son neveu, et leur donne des espérances qu’il n’a pas lui-même. Une lame fond tout à coup sur le bateau, lui donne une secousse violente, emporte son fils, et le précipite dans la mer. Le père accablé, forcé de quitter le gouvernail pour prendre la rame, affaibli par la douleur, épuisé bientôt par le travail, succombe et tombe sans connaissance. son neveu désespéré, quitte lui-même la rame, se couche auprès de lui, n’attendant que la mort et s’abandonnant à la fortune, il passe la nuit dans cet état ; le lendemain, à la pointe du jour, il aperçois l’isle de Batz ; mais le vent l’en éloigne, et le porte vers la terre ferme ; il essaie de redresser la voile pour en profiter, et il y parvient. Le 17 à 4 heures du soir, il arriva à Tremeneach [2], côte éloignée de deux lieues du port d’où il était parti. Son oncle vivait encore, et il n’est mort que 24 heures après son accident.
Les personnes bienfaisantes, qui voudraient donner quelques secours à la famille de ces infortunés, sont priées de la adresser au Subdélégué de Lesneven et au Recteur de Landéda, évêché de Léon.
La Gazette du 10 aout 1787
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Cette flottille pour la pêche aux maquereaux semble être partie des petits ports du côté de l’Aberwrac’h, l’Armorique et Tremenac’h sont en effet les trêves ou des paroisses annexées à Plouguerneau à la révolution, nos trois marins sont de l’Armorique et l’aide aux familles peut être envoyé au Recteur de Landéda, la trève de l’Armorique était-elle attaché à Landéda alors qu’elle est de l’autre côté de l’estuaire de l’Aber Wrac’h ? Ou il y avait-il une Armorique sur la paroise de Landéda, il existe actuellement une rue de l’Armorique dans le bourg.
La pratique de la pêche aux maquereaux au large était courante, les normands de Dieppe et de la Hougue venait faire la saison de maquereau à Roscoff, ils pêchaient au large avec des filets de dérive. La flottille est composé de petits bateaux avec des équipages peu nombreux on peut s’interroger sur le mode de pêche filet de dérive ou plus probablement ligne de traine.
Ils sont à 10 ou 12 lieux au large, une lieue marine, ancienne unité correspond à 3 milles marins soit une distance de 30 à 36 milles au large ce qui fait loin pour des petits bateaux. A cette époque les bateau de pêche n’ont aucun instrument de navigation à bord, là un seul compas pour 17 bateaux, la navigation en flottille est très incertaine en cas de coup de vent, de brume ou de nuit.
Il n’est pas facile de connaitre le type de bateaux utilisé par les pêcheurs du Léon à cette époque. J’ai choisis d’illustrer cet article par des gravures de la fin du XVIII ème de Pierre Ozanne, les 3 premières sont des représentations de bateau a deux mât gréant misaine et grand-voile amurée en abord les deux dernière représente un petit sloup avec foc et grand-voile à corne. Les modèles de bateaux dessiné par Ozanne sont certainement du côté de la rade de Brest ou des ports de l’Iroise Il est toutefois probable qu’en 1787 les bateaux de pêche de Léon aient un gréement à deux mât la gravure contemporaine du port de Roscoff montre que ce type de gréement pour les petits bateaux.
Le cotre Cours-après, immatriculé à Brest sous le numéro 5090, était parti dimanche matin de Lilia pour prendre part, dans l’après-midi, aux régates qui se couraient à l’Aberwrach. il gagna le 2ème prix, d’une valeur de 60 francs, dans la course à laquelle il participa et à 22h30, il prit le chemin du retour avec ses huit passagers.
La nuit était sombre, un épais brouillard bouchait l’horizon, il bruinait. On voyait cependant par instant, le feu de l’île Vierge.
Le patron Yves Le Pors, 28 an, marin pêcheur et goémonier à Lilia, en Plouguerneau, connaissant parfaitement les difficultés de la navigation dans le chenal, parsemé de roches, qui sépare l’île Vierge de Lilia, tenait la barre. fiers d’avoir gagné un prix, les passagers, tous jeunes et célibataires, revenaient joyeux. Il y avait à bord deux frères, Jean et François Le bris, 24 et 19 ans, marins-pêcheurs ; leurs cousins Jean le bris de Tévezan , en Plouguerneau et Jean-Marie le bris, breveté canonnier à bord du cuirassé Provence ; Protagène Le Got constructeur de bateaux au Rheun en Plouguerneau ; Yves Autret, 18 ans, novice ; Joseph Simon de Kerscao, marin de commerce et François Simon, marin-pêcheur du Rheun. le bateau était sous voiles. il avait vent debout, mais celui-ci était très faible. La mer descendait, quand vers 23 heures, le cotre entra dans le chenal de Lilia.
Le naufrage
Pour lutter contre le courant qui empêchait le bateau d’avancer, en vue de l’anse de Kerviny le marin de commerce Joseph Simon prit un aviron et godilla énergiquement, bien que le cotre eut toutes ses voiles.
Tout à coup, il y eu un choc, la barque frôla une roche et s’immobilisa. elle s’était échouée sur la roche plate de Menn-Harch.
Les passagers avec des avirons, Yves Autret avec la gaffe, tentèrent de déséchouer le Cours-après, mais il restait maintenu par l’arrière et pris de la gite à bâbord.
Yves le Pors, le patron commanda à ses passagers de se porter sur l’avant pour faire contrepoids. Tout le monde lui obéit et se précipita à bâbord avant, sauf Yves Autret, qui, le corps penché au dehors, faisait toujours effort sur sa gaffe pour tenter de dégager la barque.
Sous le poids des huit hommes, la bateau bascula à babord, le lest se déplaça et l’eau envahit le cotre, qui se coucha.
ce mouvement de bascule avait projeté à la mer le novice Yves Autret et M. Le Got. On ne sait si Jean-Emile et François Le bris furent précipités à l’eau ou si pris de peur, ils se jetèrent eux-mêmes à la mer, profonde à cet endroit et à cette heure de trois mètres environ.
Trois bouées de sauvetage et des avirons leur furent lancés. La gaffe flottait le long du bord, mais les quatre naufragés ne purent s’en saisir et disparurent sans qu’on pût leur porter secours.
Tout cela avait été si rapide, que les cinq hommes restant à bord, atterrés n’osaient bouger. Il appelèrent au secours. Mais le vent ne portait pas du côté de la terre. Les habitants de Lilia étaient endormis. leurs appels ne furent pas entendus.
La mer descendait toujours. vers minuit 30, les cinq rescapés purent sortir de leur pénible position. Ayant de l’eau jusqu’au aisselles, ils gagnèrent la terre et allèrent frapper à l’hôtel des touristes, pour demander de l’aide.
Recherches
Les habitants de Lilia et de nombreux touristes descendirent sur la plage pour chercher les corps des quatre victimes. L’un des passagers, le marin de commerce Simon, prit un canot et se rendit près du Cours-après, toujours couché sur le côté gauche. il aperçut, reposant par un mètre de fond, très près l’un de l’autre, les deux frères Le bris et les ramena à terre. Il était alors un peu plus d’une heure du matin et le naufrage avait eu lieu entre 23h15 et 23h30.
Le docteur Goas, de Plouguerneau, tenta, sans succès, hélas ! de les rappeler à la vie.
Les recherches se poursuivaient. A 2 heures, M. Jean Abguillerm découvrait le corps de Le Got qui fut transporté sur une civière au même hôtel.
Jusqu’à 5 heures, hier matin, on cherchait, sans le découvrir, le corps du novice Louis Autret.
Les corps sont ramenés à leur domicile
Le meire, M. René Abjean, et la gendarmerie, avait été prévenus de l’accident. accompagné des gendarmes Borvon et Lucas, M. René Abjean se rendit près de Mme veuve Le bris pour lui annoncer avec ménagement la mort de ses deux fils. très courageusement, la pauvre femme, veuve depuis un an à peine, apprit la triste nouvelle. Mais quand, quelques temps après, recouverts d’un linceul, les corps de ses deux enfants lui furent apportés sur une civière, elle se jeta sur eux, les embrassa longuement, puis pleura silencieusement, en aidant des voisines à procéder à la dernière toilette des deux malheureux jeunes gens. La même scène lamentable se renouvela au domicile de Protagène Le Got au Rheun.
Ce que dit le patron Le Pors
Le patron Le Pors est encore sous le coup de la pénible émotion que lui a causé la mort de ses quatre camarades. Il s’exprime assez difficilement en français :
« Qu’ajouterai-je, dit –il en substance, à ce que vous savez déjà. Quand je vis mes quatre compagnons tomber à la mer, j’ai fait tout ce qu’il m’était possible de faire et je crois ne rien avoir à me reprocher.
Comme eux, je ne sais pas nager. je ne pouvais donc songer à me jeter à l’eau pour leur porter secours. Le bateau était couché sur bâbord. je me glissait sous la grand-voile, puis je parvins à me hisser dessus. alors tranchant avec mon couteau trois des six brassières de liège que j’avais à bord, je les lançai dans la direction où j’avais vu tomber mes compagnons.
Mes camarades jetèrent des avirons pour que les naufragés s’y accrochent. mais dans le noir, on ne voyait rien à la surface et je crois que mes infortunés camarades ont dû, succombant à une congestion, couler à pic.
A trente mètres de nous, on aurait eu pied, mais nous ne savions au juste où nous nous trouvions. Et puis, tout cela s’est passé très vite..
Dans l’eau jusqu’à la ceinture, agrippés aux haubans et aux cordages, nous appelâmes au secours : bien inutilement, car on ne pouvait nous entendre.
Enfin, après une heure d’attente, nous nous rendîmes compte que la mer était assez basse pour nous rendre à terre et allâmes chercher de l’aide pour tenter de retrouver nos amis. Vous savez le reste. C’est un bien grand malheur ! ».
L’enquête
Les gendarmes de la brigade de Lannilis avaient rendus compte de l’accident à M. l’adjudant-chef Coupa, commandant par intérim la gendarmerie de l’arrondissement qui, à 14 heures, se rendait à Lilia
Les recherches pour retrouver le corps du novice Yves Autret avaient été poursuivies. On venait de trouver le cadavre entrainé par le courant, à la pointe de Castellan et on le transportait sur une civière, enveloppé d’un drap blanc, au domicile de ses parents, au bas du bourg, lorsque les enquêteurs arrivèrent.
Après avoir salué le corps de la quatrième victime, M ; Coupa interrogea, en présence des gendarmes Borvon et Lucas, le patron Yves Le Pors, qui refit le récit du dramatique accident.
Puis on se rendit on se rendit auprès du Cours-après, déséchoué et ramené à marée basse sur la plage, à quelques distance de la roche Menn Harch.
Le patron monta dans son bateau mima la scène du naufrage et les gestes qu’il fit pour porter secours à ses compagnons.
Ses déclarations furent les mêmes que celles que nous reproduisons plus haut. Le procès-verbal dressé par la gendarmerie fut adressé dans la soirée au parquet de Brest et M. René Abjean, maire de Plouguerneau, délivrera le permis d’inhumer.
Trois famille en deuil pleurent à Lilia la perte de leurs enfants ! Nous les prions d’agréer nos bien sincères condoléances.
F. M. La dépêche de Brest du 16 aout 1938
Liens
Marée dimanche 14 aout à l’Aberwrach
Pleine Mer 19h21 (UT+1) 7,46m coeff 85
Site de M. Ouhlen sur l’Aberwrach
Le naufrage
Nous apprenons dans le Ouest Eclair du 09 novembre 1904 la naufrage du trois-mâts terre-neuvier de Saint Malo la Charmeuse :
« Dans la nuit de mardi à mercredi le trois-mâts charmeuse, de Saint-Malo, chargé de morue pour Bordeaux a échoué sur le rocher de Pierres-Noires à l’ouest des Sables ; L’équipage a été sauvé. Le navire est perdu »
Le chargement de morues est intact et peut être déchargé à basse mer
« La cargaison de la Charmeuse, échouée aux Roches-Noires, est intact ; le navire a subi quelques avaries ; le gouvernail a été démonté et la fausse quille avariée. Les armateurs et les assureurs s’occupent du renflouement qui sera probablement difficile, étant donné l’état de la côte à l’endroit de l’échouement. On commencera demain le débarquement du chargement ».
Ouest Eclair du 15 novembre 1904
Le navire est détruit par la tempête
« La charmeuse qui s’était échouée près des Sables d’Olonne a été complétement brisée pendant la dernière tempête »
Ouest Eclair du 13 décembre 1904
Qu’en est-il exactement des raisons du naufrage ?
Le 14 mars 1905 le capitaine de la Charmeuse passe devant le tribunal maritime de St Servan
« Le tribunal maritime commercial spécial s’est réuni hier à l’arsenal de la marine de Saint6servan sous la présidence de M. le capitaine de vaisseau Winter, pour juger le maitre au cabotage Pincemin, du quartier de Dinan, poursuivi d’office pour avoir par imprudence, causé la perte du trois-mâts Charmeuse qu’il commandait.
Le 08 npvembre, la Charmeuse, revenant de Saint-Pierre apportant, après la pêche, une cargaison de morue à Bordeaux, arrivait en vue de l’île d’Yeu. Pincemin crut reconnaitre le feu de la Baleine, mais il se trompait, le feu signalé était celui des Barges dont les éclats avaient été modifiés au mois de mai, modification qu’il n’avait pu connaitre.
Il était environ 5 heures ; après un nouvel examen des feux en vue, Pincemin donna la route à suivre pour gagner le Pertuis Breton.
vers 11 heures, ne reconnaissant plus où il se trouvait Pincemin fit faire un sondage qui révéla un fond de 30 mètres ; un autre sondage, une heure plus tard n’en donnait plus que 5m15. il mit en panne, voyant qu’il allait à la côte et se prépara à reprendre le large.
Il était trop tard, la Charmeuse touchait « les Pierres-Noires » par un fond de cinq mètres.
Le second, Jean-Marie Thomas Cochery, le maitre d’équipage François Brouard, et le subrécargue Beaudouin, déclarent que le capitaine fut trompé par le feu des Barges qu’il prit pour celui de la Baleine.
Quand la Charmeuse se trouva échouée, on remarqua qu’elle ne faisait pas d’eau, cependant Pincemin fit préparer les embarcations. le 9 il envoyait à la Rochelle prévenir la marine.
A mer basse on constata que la Charmeuse n’était pas endommagé, sauf la perte suble par elle de quelques mètre de fausse quille et de son gouvernail. Malheureusement le 10 la mer devint mauvaise et le trois-mâts fut démoli par les vagues. la charmeuse avait été construite en 1893., elle jaugeait 276 tonneaux, avait été visité pour la dernière fois à Saint6malo en 1904 avant son départ pour la pêche, l’équipage comprenait 32 hommes.
Le commissaire rapporteur fait remarquer combien la commission des naufrages déplore de voir en général les voiliers mal commandés, et déclare la conduite de Pincemin inexplicable, si l’incapacité des commandants des bateaux à voiles n’était notoire pour la presque généralité ; il signale le préjudice causé par les capitaines incapables aux capitaines compétents ; L’état de chose ainsi créé est pernicieux.
Le tribunal jugeant que Pincemin a engagé sa responsabilité par son imprudence dans la nuit du 9 novembre en ne relevant pas suffisamment son point sur la carte . Le condamne à 15 jours de suspension de commandement. »
Commentaires :
L’erreur d’identification d’un feu ne pardonne pas, le capitaine a confondu le phare des Barges à proximité des Sables d'Olonne avec celui des Baleine au nord de Noirmoutier. Nous ignorons si l’avis de modification des feux d’atterrage du littoral atlantique a été transmis au port de St Pierre .
Le président du tribunal met en doute les compétences du capitaine et en général celles des capitaine des navires partant à la pêche à la morue. Ce
débat est récurent au long du XIXème et au début du XXème. Normalement pour Terre Neuve les capitaines doivent avoir un brevet de capitaine au long-cours mais si l’armateur fourni la preuve qu’il
n’a pas trouvé de capitaine au long-cours une dérogation est accordé pour que le commandement soit accordé à un capitaine au cabotage. Les armateurs recherchent comme qualité chez leur
capitaines : qu’ils soient de bons meneur d’hommes, mais avant tout qu’ils soient de bons pêcheurs, trouvant les fonds avec du poisson et
ramenant le plus rapidement possible un chargement complet de morues. Il y a quelquefois à bord, deux capitaine, un capitaine porteur, , capitaine au
long-cours breveté en charge de la route et ayant la responsabilité du navire et un capitaine de pêche, en charge du bon déroulement de la pêche et de la réussite économique de la
campagne.
L’univers maritime, si riche, de la rade de Brest ne fait pas parti du champ d’investigation de ce site, je vais toutefois vous parler de bateau Kerhors . L’espace maritime, de la rade de Brest, à fait l’objet de superbes études publié dans les tomes d’Ar Vag, La tradition des bateaux kerhors est superbement traité dans le tome 4. Mais Ouessant et l’archipel de Molène sont l’extrême ouest couvert par ce site.
La découverte de cette superbe photographie, ci-dessus, nous permets d’évoquer les pêches hors rade des bateaux kerhors. En effet, certains bateaux kerhors fréquentaient les îles de l’archipel de Molène et les anses de la côte du Conquet, ils livraient leur pêche au Conquet, elle était transporté jusqu’à Brest par le tramway, chaque patron a ses caisses avec le nom du bateau.
Le qui est le plus remarquable est le mode de vie semi nomade des Kerhors, en effet les équipages vivaient et dormaient sur leur petit bateau toute la semaine ne rentrant chez eux, au fond de la rade, à l’embouchure de l’Elorn, le samedi pour y passer le dimanche et repartir le lundi matin en fonction de la marée. Lorsqu’ils partaient vers le Conquet il rentrait sur Brest par le tramway en laissant leurs bateaux au mouillage au Conquet. Dans les îles ils pêchaient souvent le lieu au filet droit, le long de la côte, ils pêchaient du mulet et du bar avec leur grandes sennes.
La pêche en mer ouverte, a ses dangers avec de si petit bateau comme le montre le récit du naufrage et du sauvetage suivant en 1897 :
« Le 2 mars, vers minuit, le bateau de Kerhor Fleur de Marie, patron Le Roux Jean, s’est brisé sur l’île Litiric, près de Quéménez, entre le Conquet et Molène.
L’équipage, composé de trois hommes après avoir, au péril de sa vie, sauvé quelques engins de pêche, est resté dans l’île, sans provisions, jusqu’au vendredi soir.
Ce même jour, il a été aperçu par la barque du sieur Le Roux Guillaume, pêcheur de Camfrout, qui se trouvait dans ces parages mai sans que le Roux ait pu les secourir, à cause de la mer démontée : il dut se borner à leur lancer un baril d’eau douc, que les naufragés ont pu saisir difficilement.
Samedi, entre huit et neuf heures du matin, sur le indications d’un bateau qui se rendait au Conquet, le bateau de sauvetage de Molène est venu chercher les naufragés. Pendant leur séjour sur cette île inhabitée, ils n’avaient eu pour nourriture que de rare coquillages arrachés aux rochers.
Le danger qu’ils ont couru, ils l’on oublié aujourd’hui ; mais leur situation, surtout celle de Le roux Jean, est digne du plus vif intérêt. Ce pêcheur, veuf, a quatre enfants en bas âge. Son père, demi-soldier, est âgé de 83 ans et sa mère de 71 ans.
Les premiers secours lui ont été donnés sur les ressources du bureau de bienfaisance, et par délibération d’aujourd’hui, le conseil municipal l’a exceptionnellement autorisé à quêter dans la commune.
Le produit de cette quête sera loin de donner à cette famille l’argent nécessaire pour acheter une autre barque ; aussi, monsieur le rédacteur en chef, au nom de ces malheureux, venons bous recourir à votre bienveillance habituelle en vous priant d’ouvrir une souscription, si vou le jugez convenable. la générosité des habitants de Brest, et de vos lecteurs particulièrement, est connue, et nous ne doutons pas qu’ils répondent à votre chaleureux appel.
Nous déférons bien volontiers au vœu de notre correspondant. Nous recevrons avec reconnaissance toutes les sommes qu’on voudra bien nous remettre pour cette famille malheureuse.
En tête de cette souscription, nous pouvons inscrire M. Ghilino, le dévoué maire du relecq-Kerhuon, pour 20 francs.
La dépêche de Brest du 09 mars 1897
En complément de cet article, voici le rapport de sortie du canot de sauvetage de Molène
Ile Molène, le 6 mars 1897
Monsieur le président,
J’ai l’honneur de vous adresser un sommaire précipité et décousu du rapport de sauvetage de ce jour.
Cariou Denis, canotier et pilote, a remarqué, ce matin, d’auprès du sémaphore, un bateau qui faisait des signaux de détresse, au S.E. de Molène, à quatre milles et demi environ de Molène et du Conquet, auprès de l’île Litity (îlot inhabité).
C’était un peu avant 10 heures du matin. Cariou s’empresse de donner l’alarme, et notre canot Amiral-Roussin est lancé à l’instant. La mer est démontée, comme les jours précédents. Les femmes des
canotiers tremblaient pour leurs maris ;
L’amiral-Roussin atteignit le bateau en détresse vers 11 heures un quart. ce bateau Fleur-de-Marie, venant de Kerhor, en Guipavas, faisait la pêche, lorsque surpris par la tempête, il fut obligé de mouiller auprès de Litiry. Mais l’ancre ayant dérapé par la force du vent et de la mer, le bateau fut lancé sur les rochers de la côte et brisé. cependant l’équipage put se sauver et se retirer à Litiry. cet équipage était composé de Le Roux Jean, patron ; Piolot Yves et Bescout Michel, marins ; Kérouanton Aristide , mousse.
La mer déferlait horriblement ; nos canotiers, conduits par le nouveau patron Gouachet, abordèrent Litiry par l’endroit le moins dangereux. après avoir mouillé, comme ils pouvaient, avec le câble, ils lancèrent à terre la ligne du canot au moyen du plomb, et puis lancèrent une corde plus grosse aux naufragés, par le moyen du filin. ceux-ci, saisissant la corde, attirèrent le canot le plus près possible, l’attachèrent au rocher et purent s’embarquer. alors un spectacle attendrissant, ces naufragés, depuis 48 heures dans cet îlot, sans abri et sans vivre, se jetèrent au cou de leur sauveteurs en les remerciant chaleureusement.
Pour réchauffer les membres glacés de ces pauvres naufragés, nos canotiers leur firent manger un peu de biscuit et avaler une goutte de rhum que l’Amiral-Roussin a toujours à bord.
Marée et vent contraires, force fut fait à nos canotiers de prendre la direction du Conquet pour y débarquer les naufragés. Après avoir déposé nos quatre sauvés chez le Commissaire de la marine au Conquet, et dressé leur rapport, nos canotiers, profitant de la marée, pour rentrer au plus vite à Molène avant la nuit, et de crainte de nouveaux naufrages, reprirent la route de Molène, sans avoir rien mangé.
Notre intrépide Amiral-Roussin se montrait et se cachait tour à tour sous les vagues écumantes, et aidés par la voilure, nos canotiers purent regagner Molène vers 4 heures du soir, mais non sans avoir reçu plusieurs gros paquets de mer par-dessus la tête.
Ovation générale à la rentrée au port. Le bateau qui ravitaille Molène et Ouessant n’avait pas encore paru depuis huit jours.
Pour ma part, j’ai félicité nos braves.
Le président du Comité local, Abbé Lejeune, Recteur
Armement du canot Amiral-Roussin : Gouachet Etienne, patron ; Dubosq Mathieu, brigadier, Dubosq Ambroise, Dubosq René, Cariou Denis, Podeur Auguste, Dubosq Edouard, Delarue Aimable, Masson Jean-Marie, Masson René, Mao Félix, Carn Jean-René, canotiers
Commentaire :
les bateaux de pêche n’étaient pas assurés, et la perte d’un bateau était la perte totale du gagne-pain de la famille, la dépêche de Brest a souvent fait des souscription pour aider les marins pêcheurs dans le malheur.
La souscription a certainement porté ses fruits et a permis à Jean Le Roux de faire construire l’année du naufrage au Pouldu un autre bateau Kerhor de 1,61 tonneaux le Maria qu’il vendra en 1900 à Sébastien Mézou et qui naviguera jusqu’en 1915.
Sources et liens :
Ar Vag Tome 4 Editions Le Chasse-Marée Bernard Cadoret, A. Brulé, P.-Y. Dagault, J. Guillet, H. Kérisit, C. Maho, G. Tanneau, F. Vivier
Blog de Jean Pierre Clochon sur l’histoire du Conquet
Le site du bateau Kerhor Mari-Lizig
Site de Molène, histoire de la station de sauvetage
Galica : "Annales du sauvetage maritime"
Il est assez courant, qu’un bateau de travail ait eu plusieurs vies, mais en avoir trois si différentes et qui ont autant marquées les marins n’est pas habituel.
Un dundée proche des grand harenguiers du nord de la France, qui fait la pêche à la morue à Islande, qui devient un navire hôpital puis pour sa vie un caboteur à vivier pour le
transport des crustacés avec même d’autres métiers entre temps.
Le Saint-Yves, dans la mémoire des marins terre-neuvas, c’est le dernier navire d’assistance des Œuvres de mer, ce petit navire reste associé à la personnalité du RP Yvon. Pourtant sa vie au service des marins de Terre-Neuve et Groenland a été bien courte.
Nous allons découvrir les trois vies successives de ce valeureux petit navire.
Le Willy Fursy
Les Verdoy sont une famille de marins, de capitaines, et de charpentiers de marine de Graveline. De 1888 à 1912, 51 navires, construit au chantier Verdoy sont mis à l’eau, principalement des lougres, des goélettes ou des dundées, ce chantier participe à l’élaboration des grands dundées harenguiers. En 1904 il lance le Fernand , un dundée de 28,10 m. Ce bateau en inspira bien d’autres. L’activité du chantier s’arrête en 1912 Ces chantiers nous laissent des archives de plans de construction très importantes .
Comme beaucoup de constructeur du nord, la famille Verdoy est également impliqué dans les armement de navire du l’Islande.
A partir de 1924, la motorisation des dundées leur permet de faire deux campagne d’Islande sur la saison , les dundées revenant vers la fin mai pour livrer leur première pêche.
Le jeune Fursy Verdoy , se lance à 24 ans dans l’armement à Islande en 1927.
Le chantier familial n’existant plus, il s’adresse Chantelot de Fécamp pour la construction d’un dundée motorisé. Le chantier de Chantelot est alors en sommeil cette commande relance son activité il s’associe à Lemaître - l’ancien contremaître pour créer les « Chantiers Navals de Normandie » en 1931, ce chantier aura la commande de deux goélettes pour la Marine Nationale ce sera l’Etoile et la Belle Poule. Lancé en 1929, ce dundée de 27 m de long sur 7 m de large et de 3,45 m de tirant d'eau pour une jauge de 115 tx portera le nom de Willy Fursy de 1929 à 1932 il fait des campagnes en Islande et en 1933 et 1934 sur la côte occidentale du Groenland. En 1935 il est vendu aux « Œuvre de Mer » à Saint Malo mais passe une dernière fois aux chantier de Fécamp pour la mise en place de ses nouveaux aménagements
Le Saint-Yves
Un article du Yacht de 1935 décrit bien les modifications et les aménagements
« L’armement de la Sainte-Jeanne-d’Arc étant devenu trop onéreux, la Société des Œuvres de Mer, on le sait, a décidé son remplacement par un voilier à moteur auxiliaire d’environ 200 tonnes, susceptible de se prêter aux aménagements répondant à sa mission.
Après recherches dans les ports, le choix s’est fixé sur l’élégant dundée Willy-Fursy, de Gravelines, construit en 1929 par les Chantiers Navals de Normandie à Fécamp.
La construction de ce bateau du fait de sa destination primitive : la pêche en Islande, est d’une robustesse exceptionnelle, avec des matériaux de premier choix et un échantillonnage supérieur aux exigences du Bureau Véritas ; la distance d’axe en axe des membrures est de 0 m 48, leur épaisseur sur le droit est de 32cm formée de deux plans de 16 cm, le vide entre chaque membrure est donc de 16 cm L’épaisseur du bordé est de 7 cm et de 8.5 cm ; un vaigrage intérieur de 6 cm d’épaisseur calfaté forme double coque.
les chantier Navals de Normandie ont été chargés d’effectuer les transformations nécessaires à la nouvelle mission du navire. Les plans reproduits ci-contre montrent la nouvelle distribution intérieure exécutée suivant les directives du commandant Maquet, administrateur délégué des Œuvres de mer ; ils comprennent à partir de l’avant :
Le poste d’équipage avec couchettes et armoires, puis la cambuse. Séparé de la cambuse par un fort cloisonnement vient ensuite l’hôpital, avec deux lavabos fixes, des armoires à linge et quatre couchettes fixes. A tribord, à toucher la cloison de la cambuse, est la chapelle. Sous la descente, prenant accès dans l’hôpital, on trouve une cabine à deux couchettes avec lavabo et armoires, pour les contagieux. En outre des couchettes fixes il est prévu six couchettes mobiles.
Les chantier Navals de Normandie ont été chargés d’effectuer les transformations nécessaires à la nouvelle mission du navire. Les plans reproduits ci-contre montrent la nouvelle distribution intérieure exécutée suivant les directives du commandant Maquet, administrateur délégué des Œuvres de mer ; ils comprennent à partir de l’avant :
Le poste d’équipage avec couchettes et armoires, puis la cambuse. Séparé de la cambuse par un fort cloisonnement vient ensuite l’hôpital, avec deux lavabos fixes, des armoires à linge et quatre couchettes fixes. A tribord, à toucher la cloison de la cambuse, est la chapelle. Sous la descente, prenant accès dans l’hôpital, on trouve une cabine à deux couchettes avec lavabo et armoires, pour les contagieux. En outre des couchettes fixes il est prévu six couchettes mobiles.
A tribord, une pièce réservée à la visite des malades et dans laquelle se trouve placée la table d’opération, la pharmacie, etc.
Au centre, complétement séparée de l’Hôpital, la descente avec coursive commandant la salle de visite, un compartiment réservé à la poste et, à l’arrière, le carré puis, prenant accès dans le carré, à bâbord et à tribord, la cabine de l’aumônier et du médecin.
Vient ensuite, séparée par une double cloison, la chambre des machines, dans laquelle est installé un groupe marin semi-diesel Bolinder de 80 Cv et un groupe électrogène diesel, avec en abord, les réservoirs à mazout d’une capacité de 10 tonnes. enfin, sur l’arrière, la cabine du capitaine, la descente et le carré avec quatre couchettes. Le chauffage central assure une bonne température dans tout le bateau ; la chaudière est placée dans le carré arrière.
Sous les planchers sont installés, le parc au charbon, des caisses à eau douce, le puits aux chaînes, le lest en fonte de 45 tonnes.
Le guindeau est actionné par le moteur. L’intérieur du rouf abrite la cuisine avec cuisinière et four à pain, la cabine de T.S.F, la descente et deux WC.
La timonerie avec compas, table à cartes, etc, etc.
Après transformations, le navire a reçu le nom de Saint-Yves et a pris armement à Saint-Malo. »
Le Commandant Lacroix dans « les derniers voilier morutier terreneuvas, islandais, groenlandais » nous fournis les détails suivants : Pour la campagne de 1935, le Saint-Yves est commandé par M. Gervin, capitaine de la marine marchande, M. Blondel est le mécanicien et M. Duchâteau lieutenant au long-cours est le radio.
Le service médical est assuré par le docteur Jousset, assisté de son infirmier Louis Nédelec qui avait 15 ans de pratique des bancs.
Le reste de l’équipage comprend, le second, le maitre d’équipage, huit matelots et un mousse.
En 1935, étant parti de Saint-Malo le 8 mai et de retour le 6 septembre entre les bancs de terre-neuve et les côtes du Groenland, il contacte 141 navires, hospitalise 19 hommes pour 232 journées, donne 90 consultations recueille 22 naufragés et distribue et reçoit 13 801 lettres
En 1936 ils repartent pour une nouvelle campagne. Le RP Yvon et son radio créé « Radio Morue » avec une émission hebdomadaire qui donne le top horaire, la météo, les nouvelles de la pêche et du pays, l’itinéraire du Saint-Yves et des conseils médicaux
Les campagnes se poursuivent avec succès en 1937, 1938 et 1939.
En septembre 1939 c’est le Saint-Yves qui annonce que la guerre est déclarée aux voiliers dépourvus de la T.S.F et rentre définitivement à Saint-Malo le 26 octobre 1939.
Le Maryannick
Il semble que le SaintYves soit resté désarmé pendant la seconde guerre mondiale. Après-guerre, le commerce du poisson et des crustacé repart de plus belle. Les viviers Ouhlen du Diben achètent alors le Saint-Yves et lui font installer un vivier pour le transports des crustacés et une passerelle assez imposante . Il est alors appelé alors le Maryannick. Le négoce de langoustes et de homards de la maison Ouhlen est important, Le Maryannick, comme le Rosko vont régulièrement chercher des crustacé à Newlin dans les Cornouailles anglaises et en Irlande Lorsqu’il ne voyage pas il est souvent amarré au bassin de Morlaix. je ne sais en quelle année il a été définitivement désarmé et où sa coque à fini.
Le modèle du Saint-Yves
Michel Jacques, un ami de de Saint-Malo est ancien marin-pêcheur sur les grands chalutier pêchant la morue à Terre-Neuve, il réalise de magnifiques modèle de bateaux de travail. des vrais modèles de marin, les couleurs, le gréement, le matériel d’armement sont particulièrement exact et donnent de la vie.
Michel Jacques a réalisé un modèle du Saint Yves à l’époque où il était navire d’assistance à Terre-Neuve
Sources et liens :
Louis Lacroix « les derniers voiliers morutiers » 1949
Film cinémathèque de Bretagne à bord du St Yves
Livre du RP Yvon « Avec les pêcheurs de Terre-Neuve »
histoire du Chantier Naval de Normandie
un article de Ouest France sur le grand modéliste Michel Jacques
Simplement, sans bruit, comme il était parti de Carantec le 22 aout 1936, le côtre l’Anahita est arrivé avant-hier à l’Aberwrac’h. Entre-temps son propriétaire, le capitaine au long-cours Louis Bernicot, le manœuvrant seul, lui a fait franchir l’Atlantique, le Pacifique et l’Océan Indien.
Le voici sagement amarré au long de la cale. Les compatriotes du capitaine originaire de l’Aberwrac’h, s’étaient juré de lui faire fête dès sa venue au pays. mais cela ne cadre guère avec sa modestie. et hier soir, seuls, le feu de la tour carrée de Lanvaon et les grands bras éblouissants du phare de l’île Vierge illuminaient la haute mâture de l’Anahita. C’était mieux ainsi au gré de M. Louis Bernicot qui avait eu le temps de serrer les mains chaleureuses de ses anciens amis.
Finement mais robustement construit, le cotre a une longueur totale de 12m 50, une largeur de 3 m 40, un tirant d’eau maximum de 1m 70 ; gréé en marconi, il a65 mètres carrés de surface de voilure. la marée basse le présente comme une véritable coquille de noix. Et l’on s’effare en songeant que c’est là-dessus qu’un homme a accompli le tour du monde sans vouloir éviter les passages les plus redoutés des navigateurs.
Voici précisément le capitaine sur le pont, surveillant l’échouage. Rien du colosse, ni par la taille ni par la carrure, mais d’une sveltesse nerveuse et musclée. d’un œil calme mais vif, il nous observe.
Nous nous présentons. sous une moustache soigneusement taillée, un bon sourire nous accueille. les traits volontaires s’éclairent dans un visage hâlé. M. Louis Bernicot veut bien se prêter à l’interview.
L’extraordinaire voyage
A grands traits il nous retrace son périple. Le 22 août 1936 il quitte Carantec pour Madère où il demeure du 6 au 8 septembre, puis fait voile sur Mar Del Plata (Argentine) ; Il y arrive le 12 décembre pour en repartir le 23. C’est bien vainement qu’on avait tenté de le retenir pour les fêtes de Noël. On lui représentait cependant que la mer était mauvaise et pour le convaincre de sa violence en ces parages, on lui fit voir deux navires coulés malgré l’abri d’énormes jetées.
en effet il trouve au large un vent tempétueux, une mer désordonnée, un ciel continuellement sillonné d’éclairs. Il fit route sur le détroit de Magellan où il entre le 16 janvier pour en sortir le 29 après trois jours de mouillage à Ponte Delgada et Trois jours à Punta Arenas.
Ici encore on avait voulu l’émouvoir en lui disant qu’il lui fallait trois semaine pour franchir la deuxième partie du détroit et qu’il avait tout au plus dix chances sur cent de s’en sortir. Trois jours plus tard. L’Anahita entrait dans le Pacifique.
Journées bien dures que les suivantes. il monte vers le nord-ouest, passe en vue de l’île de Pâques le 17 mars et atteint les Gambiers le 5 avril ; il est grand temps car il manque d’eau. C’est de tous les, le plus joli pays qu’il ait rencontré au cours de son voyage. Il y demeure huit jours.
Le 2 mai le voici à Tahiti où il escale 24 jours. Puis il cingle vers le détroit de Torrès qui sépare la Nouvelle Guinée de l’Australie. Les 4200 milles franchis par les vents alizés régulier il trouve à l’entrée une mer si grosse qu’il lui faut tenir la cape pendant 36 heures.
Etant demeuré trois jours au port pour renouveler ses approvisionnements, il appareille le 15 juillet pour les îles Coco dans l’Océan Indien. Après une très bonne traversée, il y parvient le 7 aout et y demeure jusqu’au 22, anniversaire de son départ de Carantec. Partout on lui fait le meilleur accueil, surtout aux îles.
La traversée de l’Océan Indien est bien pénible, mais le voici à l’île Maurice le 11 septembre. On lui fait fête, on tente de le retenir ; il part le 16 pour arriver le 19 à la Réunion. L’Anahita a besoin d’un carénage ; il séjournera là dans ce but jusqu’au 20 octobre, ce qui lui permettra d’entreprendre de belle excursions.
Le voici à Durban le 9 novembre après avoir dû tenir la cape pendant deux jours. le 2 décembre il fait route vers le Cap de Bonne Espérance et après une traversée agitée arrive au Cap le 10 décembre.
Le 4 janvier il remonte la côte occidentale d’Afrique pour arriver à Pointe Noire au Congo le 27 janvier. Il espérait y retrouver un de ses fils, mais celui-ci se trouvait bien trop à l’intérieur.
Quand il repart le 2 mars, il fait le projet de franchir d’une traite les 7000 milles qui le sépare des côtes françaises mai il doit s’arrêter aux Açores du 8 au 14. Enfin il arrive le 30 au Verdon, il se fait démâter à Bordeaux pour passer sous les ponts de la Dordogne et remonter jusqu’à Bergerac où il désarme.
Le capitaine Bernicot avait en effet, lorsqu’il avait quitté ses fonctions de représentant de la Compagnie Générale Transatlantique aux Etats-Unis, fait acquisition d’un domaine à St-Nexans en Dordogne.
C’est de là qu’il était venu à Carantec demander à M. Eugène Moguérou de lui construire l’Anahita.
- Bien bon bateau que celui-là ajoute le capitaine ; on l’admira ; on l’admira partout, on m’en demanda les plans ; en somme, excellente propagande pour la construction française.
Anecdotes
- De quoi avez-vous le plus souffert au cours de votre voyage ?
Du manque de Pain.
Pouviez-vous vous ravitailler parfois en pêchant ?
Oui, j’ai capturé beaucoup de poisson de toutes sortes, sourtout des thons. J’en ai pris qui pesaient 50 kilos, mais j’éprouvais mille difficultés à les hisser à bord d’autant plus qu’ils se défendaient bien.
A ce propos j’ai pu constater la finesse de l’odorat des requins. Lorsque je dépeçais un thon et que le sang coulait à la mer par les dalots, je voyais aussitôt les squales venir de loin.
J’en ai vu parfois une demi-douzaine rôder autour de mon bateau. Armé de ma carabine. J’en ai tiré à la tête. ils plongeaient, mais je crois n’en avoir tué qu’un seul.
Pendant des jours un requin me suivit. Lassé sans doute d’une poursuite in fructueuse, il vint à plusieurs reprises, à toute vitesse se jeter sur le flanc du bateau pour tenter de le faire chavirer. Les chocs étaient si violents que la bête était teinte par la peinture arrachée. j’ai bien tenté de lui porter un coup de gaffe, mais le fer entama à peine la peau. Enfin il m’abandonna.
J’ai rencontré une fois une famille de cachalots : le père, la mère et leur petit, leur mase m’impressionna et le souvenir des attaques du requin m’incita à les laisser poursuivre leur route.
- Quelle fut la plus pénible partie de votre voyage ?
- La traversé entre Mer Del Plata et le détroit de Magellan. Une nuit, une vague énorme s’abattit sur le pont avec un fracas assourdissant. je croyais que tout était emporté. le bateau prit une gite inquiétante puis se redressa peu à peu.
- Il n’était pas prudent de dormir ?
- je dormais deux ou trois heures par nuit et me reposais de temps en temps le jour, la barre amarrée, les voiles équilibrées.
- La plus longue traversée fut celle de Madère à Mar del Plata ; elle dura 93 jours. en arrivant au but, je n’avais plus de vivres, il me restait qu’un verre d’eau que j’utilisais pour me raser.
Mon grand regret c’est de ne pas avoir entrepris ce voyage trente ans plus tôt. On en tire de tels enseignements que ma carrière de marin en eût été singulièrement simplifiée.
Mais M. Bernicot est attendu, nous aurions mauvaise grâce d’insister. L’Anahita qui avait quitté Bordeaux il y a huit jours après son hivernage, a relaché à Loctudy. Il va cet été, sans doute entreprendre quelques croisières sur nos côtes, conduit par les mains expertes qui lui ont permis d’accomplir cet exploit.
Charles Léger
Dépêche de Brest du 20 juillet 1939
Commentaires :
Deux bonnes raisons pour publier cet article sur ce site : l’origine de Louis Bernicot et le chantier ayant construit son bateau
Louis Bernicot est natif de l’Aberwrac’h, d’une famille de marins et en particulier de pilotes lamaneurs, je reviendrait dans un autre article sur un naufrage d’un de ses ancêtres pilote.
Les pilotes de l’Aberwrac’h faisaient souvent construire leur sloups dans les chantiers de Carantec. Il est donc pas surprenant que Louis Bernicot se soit adressé au constructeur Eugène Moguérou pour la construction de son voilier pour faire un tour du monde alors qu’habitant à coté de Bordeaux les chantiers bien réputés sont nombreux dans la région.
A la lecture du récit de son tour du monde, publié en septembre 1939 à la NRF sous le titre « La croisière de l’Anahita » l’on voit bien que Louis Bernicot est particulièrement satisfait de son bateau. En particulier de son comportement par gros temps et forte mer. Le bateau se retourne une fois sans dégâts, son capitaine est fait remarquer la pertinence de l’absence de lest intérieur. Le soucis récurent qu’il ait eu à faire face est une dureté de la barre, la mèche du safran se bloquant dans le tube de jaumière malgré un graissage important. Louis Bernicot fait modifier, à Tahiti par un charpentier compétent la position du mât, il le fait avancer de 25 cm pour rendre le bateau mois ardent.
Pendant son tour du monde , Louis Bernicot travaille beaucoup sur sa voilure, n’ayant qu’une seule grand-voile, il en fait entièrement une seconde de gros temps de surface un peu plus petite, il fait aussi une autre trinquette, la voile la plus sollicité établie presque par tous les temps. Il fait faire également une autre grand-voile par un voilier de Papeete.
L’Anahita existe encore, après le décès de Louis Bernicot en 1952, il continue ses navigation jusqu’en 1980. En 1982 grâce à un don de la ville de Saint-Malo il est racheté par l’association Amerami lié au Musée de la Marine, après un début de restauration du pont, par le chantier Raymond Labbé à St-Malo il a été stocké dans différents hangars en Normandie. Il est actuellement dans un hangar à Fécamp, sa préservation est incertaine ce hangar devant être libéré. La coque d’Anahita a été proposé au Musée Maritime de Carantec, qui n’a pu, malheureusement accepter cette proposition faute de moyens financiers et de place pour sa restauration et son exposition.
Sources et liens :
Chasse-Marée numéro 221 talma Bertrand
Chasse-Marée numéro 209 tour du monde de Bernicot
La croisière de l’Anahita Louis Bernicot NRF 1939
Site familial des descendants de Louis Bernicot
http://f2gm.free.fr/louisbernicot/page1.html
Site de l’Amerami
Musée Maritime de Carantec
http://www.ville-carantec.com/cpt_equipements/musee-maritime/
site avec quelques photos de Roger le Berre de l’Anahita à Belle Ile en 1939
http://agatzeblues.fr/imagier/index.php?/category/33